Hors-collection - L'enseignement du droit aujourd'hui - 94

82
L'enseignement du droit aujourd'hui
sortent de leur spécialité de droit public, elles encourent le risque de ne plus être
regardées comme des matières publicistes et d'être absorbées dans le giron du
droit privé. Le seul moyen de sortir de ce dilemme serait de dispenser en amont
un cours d'introduction au droit public, qui pourrait alors revendiquer, par un
objet mieux délimité et une dimension plus systématique, une valeur éducative
généraliste. Mais un tel cours n'est jamais parvenu à s'imposer dans le cursus des
facultés de droit, de peur, en première année, de faire doublon tant avec le cours
d'introduction générale au droit monopolisé par les civilistes qu'avec celui de
droit constitutionnel jugé suffisant comme porte d'entrée en droit public. Des
tentatives anciennes en attestent136
: en 1890, Ferdinand Larnaude avait eu les
plus grandes peines du monde à convaincre ses collègues de l'utilité d'un cours de
« droit public général » qui serait matériellement et méthodologiquement différent
de l'exposé positif des droits constitutionnel et administratif137
. Parmi les collègues
sceptiques, il y avait d'ailleurs de nombreux publicistes inquiets à l'idée qu'un
tel cours ne corresponde pas à l'esprit « classe préparatoire » des facultés de droit
dorénavant mises au service de l'accès aux métiers de la fonction publique. Créé
malgré tout grâce au soutien du pouvoir politique138
, le cours fut immédiatement
déplacé en doctorat. Il connaîtra par ailleurs un jumeau avec la création en 1905
d'un cours optionnel de « droit public » en troisième année de licence. Dans l'un
et l'autre cas, le cours n'acquerra jamais d'unité : il servira à ses titulaires successifs,
soit d'approfondissement, soit de moyen de placer ce qui n'avait pas eu le temps
d'être traité dans les années précédentes, ce qui explique pourquoi il permettra
souvent l'enseignement des libertés publiques inclus pourtant en théorie dans le
cours de droit constitutionnel de première année. En créant un cours de « Libertés
publiques » en troisième année, la réforme de 1954 n'a en fait qu'entériné un
usage qui s'était progressivement répandu dans la première moitié du xxe
siècle.
Mais si le Code civil a tant imprégné la culture privatiste de l'enseignement du
droit en France, c'est enfin et surtout en raison de son rôle de « constitution civile
de la France », selon l'expression popularisée par Carbonnier139
présente dès le début du xixe siècle, notamment chez Locré140
. Indépendamment
136. Sur ce sujet, G. Richard, Enseigner le droit public à Paris sous la Troisième République, op. cit.,
pp. 287-305.
137. F. Larnaude, « Le droit public. Sa conception. Sa méthode », préc.
138. Mais certains professeurs oseront rédiger des ouvrages pour ce cours : M. Hauriou, Principes de
droit public, Paris, Sirey, 1910, rééd. Paris, Dalloz, 2010
139. J. Carbonnier, « Le Code civil », in P. Nora (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, coll.
« Quarto », 1997, p. 133, repris dans R. Verdier (dir.), Jean Carbonnier, 1908-2003. Écrits, Paris, PUF,
2008, p. 679. V. aussi J. Carbonnier, Droit civil. Introduction, op. cit., p. 144 et 218.
140. Comme l'a révélé P. Noual, « Sur les traces de la " Constitution civile " de la France », RTD civ.,
2020, p. 563.
, mais en réalité
Hors-collection - L'enseignement du droit aujourd'hui

Table des matières de la publication Hors-collection - L'enseignement du droit aujourd'hui
