Hors collection - Quel modèle de gouvernance des finances publiques dans un monde de multi-crises ? - 29

Michel Bouvier
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se sont succédé, de décennies en décennies. Des crises qui ont donné lieu à des
réformes du droit et de la gestion budgétaire, lesquelles ont modifié le rapport
du citoyen à la gouvernance financière publique, ou plutôt qui l'en ont éloigné.
Autrement dit, malgré les professions de foi, voire les législations allant dans
le sens d'une démocratisation du dispositif budgétaire, le rôle du citoyen dans le
processus de décision est marqué par une ambiguïté, laquelle tient à ce que ce
processus se trouve inadapté à la complexité des sociétés contemporaines, comme
je l'ai souligné précédemment.
Par ailleurs, c'est le consentement à l'impôt, son acceptation par le citoyen,
autrement dit le cœur du modèle financier public, voire de la démocratie, qui
est victime d'un délitement. En réponse, la légitimité du modèle fiscal, et par
conséquent de l'État fiscal, doit être réhabilitée en donnant un sens à l'impôt
correspondant aux attentes des citoyens.
Et puis, replacer le citoyen au cœur de la gouvernance financière publique, le
réinscrire dans un processus démocratique, et finalement dépasser les réactions
épidermiques et populistes, suppose de développer une pédagogie des finances
publiques, or celle- ci est malheureusement encore très embryonnaire. La chose est
en effet d'importance car « prendre position sur les affaires de la communauté et le
faire du point de vue de la rationalité » nécessite de « comprendre de quoi il s'agit
et de pouvoir apprécier ce qui est en jeu », comme le fit excellemment remarquer
le philosophe Éric Weil1
.
Confrontée aux finances publiques, une telle observation prend un sens particulièrement
fort tant il est peu de domaines dans les sciences de l'homme qui
soient à la fois aussi politiques et dont les dispositifs et les enjeux apparaissent
aussi opaques, voire rébarbatifs ou hermétiques aux profanes, et parfois même,
disons- le, aux décideurs.
Ces derniers doivent admettre, pour mériter la confiance de citoyens qui se
perçoivent tout à la fois comme des clients, des contribuables et même parfois
des actionnaires, qu'ils doivent faire preuve de courage intellectuel et considérer
les finances publiques comme une discipline qui va bien au- delà de l'économie.
Elles sont politiques au sens fort.
Autrement dit, ce courage intellectuel est à coup sûr indispensable pour la
création d'institutions plaçant le citoyen au centre d'une nouvelle gouvernance
financière publique. Il s'agit de bâtir une architecture nouvelle en accord avec
les nécessités et les idées d'aujourd'hui, c'est- à-dire sachant intégrer démocratie,
compétence, solidarité et liberté.
1. E. Weil, Philosophie politique, Vrin, 1985 (4e
édition).

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