Systèmes - La Convention européenne des droits de l'homme - 4e - 144

La Convention européenne des droits de l'homme
considérable dans le contentieux strasbourgeois, notamment à partir de 1993,
quand l'arrêt Kokkinakis donnait l'occasion à la Cour, pour la première fois, de
statuer sur l'article 9 et, en l'espèce, sur la question des discriminations à l'endroit
des Témoins de Jéhovah en Grèce (CEDH, 25 mai 1993, Kokkinakis c/ Grèce). Cet
arrêt fut qualifié de Magna Carta Libertatum par l'avocat Panos Bitsakis qui défendit
le couple Kokkinakis devant la Cour, c'est dire à quel point il fut majeur pour la
« construction d'un droit européen des religions » (G. Gonzalez), en dépit du fait
que la Cour n'y définit pas les contours de ce qu'il faut entendre par « religion »
ou « conviction ». Dans ce contexte, l'élément déterminant pour qu'une conviction
personnelle ou collective puisse relever du droit protégé à l'article 9, est qu'elle
atteigne un « degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d'importance ».
À partir de là, elle n'entend porter aucun jugement de valeur sur les convictions
(CEDH, 5 mai 2007, Église de Scientologie de Moscou c/ Russie). En effet, « elle n'est
pas équipée pour se livrer à un débat sur la nature et l'importance de convictions
individuelles. En effet, ce qu'une personne peut tenir pour sacré paraîtra peut-être
absurde ou hérétique aux yeux d'une autre, et aucun argument d'ordre juridique
ou logique ne peut être opposé à l'assertion d'un croyant faisant de telle ou telle
conviction ou pratique un élément important de ses prescriptions religieuses »
(CEDH, 13 février 2024, Executief Van de Moslims Van België et a. c/ Belgique, § 85).
Dans ce contexte, le respect des convictions religieuses et philosophiques des
parents dans l'éducation de leurs enfants prend un relief singulier (art. 2P1).
À une époque où les replis identitaires sont un fait avéré, la religion participe
pour beaucoup de la valorisation de l'identité au sens d'ipséité (i.e ce qui distingue)
en provoquant d'importants bouleversements dans des sociétés largement sécularisées.
Dans ce contexte complexe, la Cour européenne des droits de l'homme
a développé une jurisprudence respectueuse des multiples expressions de la foi
religieuse d'un côté (I), ainsi que des choix d'ordre historique des États dans leurs
rapports aux religions, de l'autre (II).
I.
La protection de l'expression
de la foi religieuse
Un des apports majeurs de l'arrêt Kokkinakis est d'affirmer le droit absolu
de changer de religion (§ 31), prolongeant ainsi l'affirmation faite, dès 1948, par
l'article 18 de la Déclaration Universelle des droits de l'homme. Ceci affirmé,
l'article 9 introduit une scission entre l'adhésion intime à une religion - qui ne
regarde pas les pouvoirs publics car elle se manifeste dans le for intérieur de
chaque personne (forum internum) - et les multiples manifestations des croyances
religieuses - qu'elles soient privées ou publiques, individuelles ou collectives,
positives ou négatives. Plus classiquement, l'expression de la foi religieuse
passe par « le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des
rites » (CEDH, 25 mai 1993, Kokkinakis c/ Grèce ; CEDH, Gde Ch., 26 octobre 2000,
Hassan et Tchaouch c/ Bulgarie ; CEDH, 12 décembre 2001, Église métropolitaine de
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