Systèmes - La Convention européenne des droits de l'homme - 4e - 158

La Convention européenne des droits de l'homme
idées (I) pour décliner ensuite une kyrielle d'exceptions qui s'avèrent somme
toute nécessaires sous peine de voir les sociétés démocratiques plonger dans
le chaos diffamatoire (II). Ceci affirmé, il n'en reste pas moins que l'article 10
ne protège pas, comme tel, la « liberté linguistique » ce qui permet à la Cour
d'opposer son incompétence ratione materiae à toute requête axée sur le droit de
s'exprimer dans une langue particulière (Com. EDH, 17 mai 1985, Georges Clerfayt
et autres c/ Belgique ; CEDH, déc., 21 septembre 2010, Birk-Lévy c/ France où il est
affirmé que la Convention ne garantit pas le droit « pour un élu de se servir de
la langue de son choix pour faire des déclarations et exprimer son vote au sein
d'une assemblée »).
I.
Les contours de la liberté d'expression
L'ossature fondatrice du droit de l'article 10 est constituée par le droit, pour
toute personne, de « communiquer » (aspect classique de la liberté d'opinion),
mais aussi de « recevoir » des informations ou idées « sans considération de
frontières ». Si la diffusion et la réception des informations sont donc au cœur
de l'article 10, rien n'est prévu dans ce texte, en revanche, concernant l'accès
à celle-ci - contrairement à l'article 13 de la Convention américaine (v. CIDH,
19 septembre 2006, Fond et réparations, Claude Reyes c/ Chili, Série C n° 151 où
la Cour de San José reconnut le droit pour tout individu d'accéder à l'information
publique et imposa à l'État l'obligation corrélative de la lui fournir). C'est la
jurisprudence qui est venue combler cette lacune : il fallut attendre 2013 pour
que la Cour infère timidement de l'article 10 un droit d'accès aux informations,
y compris quand elles sont détenues par des autorités publiques (CEDH, 25 juin
2013, Youth Initiative for Human Right c/ Serbie). Toutefois, la grande révolution fut
celle de l'arrêt Magyar (CEDH, Gde Ch., 8 novembre 2016, Magyar Helsinki Bizottság
c/ Hongrie). Quarante et un ans après le grand arrêt Golder, c'est au tour du « droit
d'accès aux données et documents d'intérêt public » d'être considéré comme
« inhérent à la liberté d'expression » (§ 143). La Cour identifia quatre critères
permettant aux autorités nationales de savoir si un refus de donner accès à des
informations pouvait s'analyser comme une ingérence dans l'exercice du droit
à la liberté d'expression garanti à l'article 10. Il est donc question de prendre
en compte : 1) le but de la demande d'information (elle mit en avant ici le rôle
des journalistes et des ONG, « chien de garde social » ; confirmation du rôle des
ONG, CEDH, 21 mars 2024, Sieć Obywatelska Watchdog Polska c Pologne) ; 2) la
nature des informations recherchées (elles doivent être « d'intérêt public » ou
détenues par des autorités publiques) ; 3) le rôle des requérants (les personnes
privilégiées à demander des informations publiques sont, outre les journalistes
et les ONG, les chercheurs universitaires, les auteurs d'ouvrages portant sur des
sujets d'intérêt public et les blogueurs et les utilisateurs populaires des médias
sociaux) ; 4) l'information « déjà disponible » (autrement dit, si les informations
158
Systèmes - La Convention européenne des droits de l'homme - 4e

Table des matières de la publication Systèmes - La Convention européenne des droits de l'homme - 4e
