Systèmes - La Convention européenne des droits de l'homme - 4e - 189

Article 12 - Droit au mariage
une volonté d'effacer une spécificité identitaire qui déploie des discriminations
dans le champ sociétal. La minorité se veut alors « agissante » afin que les droits
reconnus à toute personne hétérosexuelle soient également conférés à toute
personne homosexuelle et transsexuelle. Dit autrement, les homosexuels et les
hétérosexuels peuvent-ils inférer de la Convention un droit de se marier ? La
jurisprudence démontre que la Cour, lentement, adapte son curseur analytique
aux évolutions sociétales, tout en étant soucieuse de ne pas forcer la main aux
États sur ces questions encore sensibles (qui divisent d'ailleurs l'Europe entre
l'Est et l'Ouest).
La Cour, au gré de ses décisions, a accordé aux transsexuels une vie familiale
aux contours passablement amples. Qu'on en juge. Alors que dans les arrêts Rees
du 17 octobre 1986 et Sheffield et Horscham c/ Royaume-Uni du 30 juillet 1998, la
Cour estime que l'article 12 de la Convention vise « le mariage traditionnel entre
deux personnes de sexe biologique différent », elle aboutit à une solution inverse
dans les retentissants arrêts I c/ Royaume-Uni et Christine Goodwin c/ Royaume-Uni
du 11 juillet 2002 où elle utilise l'article 9 de la Charte des droits fondamentaux de
l'Union européenne pour appuyer son revirement de jurisprudence. En retenant
de la différence de sexe une acception plus large, la Cour permet aux personnes
qui ont changé de sexe d'accéder au mariage. La Cour comble ainsi (en partie) une
incohérence interne à la jurisprudence strasbourgeoise qui résultait de l'arrêt X.,
Y., Z c/ Royaume-Uni du 22 avril 1997 : elle y avait reconnu le droit des transsexuels
à une vie familiale, mais s'était arrêtée au milieu du gué en leur refusant l'exercice
des droits parentaux et le droit au mariage. C'est chose faite pour le mariage.
Toutefois, rien n'est simple quand on aborde la problématique sous l'angle de
mariages préexistants entre des personnes qui ont changé de sexe. La Cour
estime que, dans ce cas de figure, les effets d'un changement de sexe relèvent
de l'appréciation de l'État, ce dont témoigne l'affaire Hämäläinen (CEDH, Gde Ch.,
16 juillet 2014, Hämäläinen c/ Finlande). Sur la base d'un petit exercice de droit
comparé, elle relève qu'il n'y a toujours pas de consensus européen sur la façon
de traiter - dans les pays interdisant les mariages entre personnes de même
sexe - la reconnaissance du genre dans le cadre d'un mariage préexistant (ce
qui était le cas in casu). Eu égard aux questions morales et éthiques en jeu, elle
estime qu'il faut laisser à la Finlande une ample marge nationale d'appréciation.
Les choses sont différentes pour les personnes homosexuelles. La Cour
n'évolue pas dans une tour d'ivoire qui l'empêcherait de constater l'évolution du
droit des États contractants en matière de mariage entre personnes de même
sexe. On sait en effet que dix-neuf États parties à la Convention ont franchi le
Rubicon : les Pays-Bas (2001), la Belgique (2003), l'Espagne (2005), la Norvège
et la Suède (2009)1
et le Royaume-Uni (2013)2, le Luxembourg (2014), la Slovénie et l'Irlande3
, le Portugal et l'Islande (2010), le Danemark (2012), la France
(2015),
1. En obligeant l'Église à trouver un pasteur pour célébrer les mariages religieux.
2. L'Angleterre et le Pays de Galles en 2013 et l'Écosse en 2014.
3. L'Irlande fut le premier pays à approuver le mariage homosexuel par référendum le 22 mai
2015. Le « oui » a été obtenu à 62, 1 % des votants.
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