Systèmes - La Convention européenne des droits de l'homme - 4e - 237

Article 17 - Interdiction de l'abus de droit
A. La critique historique
Le jeu de l'article 17 ne fonctionnera pas et le droit commun de la liberté
d'expression reprendra ses droits quand sera en cause un travail de recherche
sur la « vérité historique ». L'affaire Chauvy illustre cet état de fait (CEDH, 29 juin
2004, Chauvy c/ France). M. Chauvy, journaliste, ainsi que les éditions Albin Michel,
furent condamnés à des amendes par les juridictions françaises en raison de la
publication de l'ouvrage Aubrac-Lyon 1943 au motif qu'il constituait une diffamation
publique envers les époux Aubrac, pris en leur qualité de membres d'un mouvement
reconnu de la Résistance, en leur imputant une trahison ayant conduit à la
mort de Jean Moulin. La Cour précise que la « recherche de la vérité historique fait
partie intégrante de la liberté d'expression » tout en estimant qu'il ne lui revient pas
« d'arbitrer la question historique de fond ». Surtout, elle prit soin de préciser que
« la question échappe à la catégorie des faits historiques clairement établis - tels
l'Holocauste - dont la négation ou la révision se verrait soustraite par l'article 17
à la protection de l'article 10 » (§ 69).
La mise à l'écart de l'article 17 fut également actée quand il s'est agi d'analyser
les propos d'un homme politique turc, niant - non pas les massacres de
1915 - mais leur qualification juridique de génocide. L'affaire Perincek fut bien
moins consensuelle que l'affaire Chauvy. Tant dans son arrêt de chambre (CEDH,
17 décembre 2013, Perincek c/ Suisse), que dans celui de Grande Chambre (CEDH,
Gde Ch., 13 octobre 2015, Perincek c/ Suisse), la Cour persiste et signe. Elle considère
que les discours de M. Perincek, prononcés en Suisse et revenant à nier la
qualification juridique de génocide aux massacres intervenus en 1915, ne sont pas
de nature à inciter à la haine et à la violence envers les Arméniens ; partant elle
persistte à treize voix contre quatre, à soustraire ses propos au jeu de la clause
de l'abus de droit (article 17). Cela ne se fit pas sans contestations (v. le point 8
de l'opinion dissidente additionnelle du juge hollandais (Silvis) à laquelle se sont
ralliés les juges andorran (Casadevall), monégasque (Berro) et lituanien (Kūris)).
Sur la base d'une argumentation qui désavoue et revisite entièrement les
décisions de justice interne jusqu'au Tribunal fédéral, la Grande Chambre valorise
la liberté d'expression sous la bannière de l'existence d'un débat historique
(§ 231), attribue au contexte géographique et historique un poids déterminant - les
propos ont été tenus en Suisse et non en Arménie ; ils concernent des massacres
très anciens n'ayant pas eu lieu sur le territoire suisse (§ 242-248) - valorise à
outrance le passage du temps - en pointant le décalage dans le temps entre les
propos du requérant et les massacres (§ 249-250), et finit par estimer, à dix-sept
voix contre sept, que la condamnation pénale du requérant a violé l'article 10.
B. La critique politique
Aux côtés des analyses critiques de type historique, la jurisprudence laisse
à voir des critiques politiques où ce sont à la fois des figures et/ou des régimes
politiques qui sont clairement désavoués. Dans l'affaire Stern Taulats et a.
(CEDH, 13 mars 2018, Stern Taulats et Roura Capellera c/ Espagne), la Cour écarte
237

Systèmes - La Convention européenne des droits de l'homme - 4e

Table des matières de la publication Systèmes - La Convention européenne des droits de l'homme - 4e