Bibliothèque de droit privé - Tome 641 - Concentration et procès civil - 77

LES MANIFESTATIONS DE LA CONCENTRATION
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89. Lien entre concentration des incidents et pouvoirs du juge de la mise en
état. L'expansion de la concentration des incidents s'est faite conjointement à l'accroissement
de l'office du juge de la mise en état dans la procédure. Depuis la création du
juge chargé de suivre la procédure en 1935, les réformes réalisées en matière d'incidents
ont continuellement augmenté, d'une part, les pouvoirs d'un juge intermédiaire connu
aujourd'hui comme le juge de la mise en état et, d'autre part, les contraintes procédurales
des parties en créant puis en élargissant progressivement le périmètre d'une concentration.
Motulsky avait d'ailleurs remarqué, dès 1965, que le pouvoir du juge de la mise en
état grandissait et avec lui les «préoccupations de " concentration " » des auteurs des
réformes134. Les évolutions récentes de la procédure civile ont en effet orienté la mise
en état civile vers un modèle d'instruction dans lequel le juge de la mise en état constitue
une juridiction et prend des décisions revêtues de l'autorité de la chose jugée135. Ce lien
entre concentration des incidents et pouvoirs du juge de la mise en état a poussé à une
restructuration de l'instance afin de purger les incidents136.
90. Tempéraments apportés par la Cour de cassation. Sans doute consciente
des difficultés que pouvait provoquer un essor trop soutenu de la concentration dans
le procès, la Cour de cassation a, dans un premier temps, tenté de modérer les effets
de la concentration des incidents. D'une part, la Cour a décidé de cantonner les « incidents
mettant fin à l'instance » concernés par cette concentration aux seuls incidents
mentionnés aux articles 384 et 385 du Code, excluant ainsi les fins de non-recevoir du
domaine de la concentration137.D'autre part, elle a décidé que seules les ordonnances
du juge de la mise en état qui mettaient fin à l'instance en statuant sur une exception
de procédure138 ou un incident mettant fin à l'instance139 bénéficiaient d'une autorité
de la chose jugée. La conséquence était que lorsque l'ordonnance statuait sur un de
ces incidents sans mettre fin à l'instance, son autorité n'était que provisoire, et pouvait
être librement contestée devant le tribunal, ce dernier pouvant alors rendre une décision
éventuellement contraire sur l'incident déjà tranché. Ce choix donnait à la
concentration une portée variable et faisait l'objet de critiques140. Il était pour autant
concevable pour laisser à l'instance sa structure unitaire. En effet, une décision intermédiaire
munie de l'autorité de la chose jugée est une décision qui, en principe, peut
faire l'objet d'un recours immédiat, causant ainsi un phénomène de «fragmentation
de l'instance »141.
134. H.MOTULSKY, « La réforme du Code de procédure civile par le décret du 13 octobre 1965 et les
principes directeurs du procès », in Écrits. Études et notes de procédure civile, préf. G. BOLARD,
réimp. 1973, coll. Bibliothèque Dalloz, Dalloz, 2010, p. 143, spéc. nº 22. Perrot percevait également une
tendance vers « une autre conception du juge de la mise en état qui ferait de lui un véritable juge unique
des incidents de l'instruction » : R. PERROT, « Le décret nº 88-1231 du 28 décembre 1998 modifiant le code
de l'organisation judiciaire et le nouveau code de procédure civile », Procédures, 1999, p. 5.
135. Sur la question de la nature de l'instruction, v. infra, nº 815.
136. Pour une analyse des effets de cette reconfiguration du procès, v. infra, nº 802 et s.
137. Cass. Avis, 13 nov. 2006, nº 06-00012, Bull. 2006, Avis, nº 10, RTD civ., 2007, p. 177, note
R. PERROT; Cass. 2e civ., 17 avril 2008, nº 07-14298, diffusé (rejet).
138. Cass. 2e civ., 13 mars 2008, nº 07-11384, Bull., II, nº 68 (rejet), Procédures, 2008, comm. 134,
note R. PERROT; Cass. 3e civ., 10janv. 2012, nº 10-27926, diffusé (cassation partielle).
139. Par ex. une fin de non-recevoir pour laquelle le CME dispose d'une compétence contrairement,
à cette époque, au JME : Cass. 2e civ., 18 déc. 2008, nº 07-20599, Bull., II, nº 276 (cassation).
140. V. par ex. C. CHAINAIS,F. FERRAND,L. MAYER,S. GUINCHARD, Procédure civile. Droit commun et
spécial du procès civil, MARD et arbitrage,36e éd., coll. Précis, Dalloz, 2022, nº 1708, p. 1300, spéc. note
nº 3.
141. M.-P. VINH-DALMAIS, La notion d'instance, dir. S. GUINCHARD, thèse Paris II, 2000, nº 122, p. 48.
Sur les difficultés causées par la fragmentation de l'instance, v. infra, nº 817 et s.
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