Bibliothèque de droit privé - Tome 640 - Les sources du droit des sociétés - 85

LES ÉMETTEURS ÉTATIQUES CLASSIQUES DU DROIT DES SOCIÉTÉS
85
société ne sera pas la même et l'intérêt social sera compris différemment204 : intérêt
des seuls actionnaires205 ; intérêt de la société206 ou encore intérêt de l'entreprise207
ou des parties prenantes208.
En conséquence, selon que l'on intègre les seuls intérêts des associés ou les intérêts
de l'ensemble des parties prenantes (salariés, fournisseurs, sous-traitants, cocontractants
voire des intérêts collectifs, telle que la défense des droits de l'Homme ou
encore de l'Environnement), le droit des sociétés n'a plus la même fonction : soit il
édicte uniquement des règles permettant d'organiser les rapports entre les associés au
sein de la société209 ; soit il doit créer des règles permettant de prendre en compte
l'ensemble des intérêts des parties prenantes, c'est-à-dire qu'il ne tend pas uniquement
à équilibrer les rapports associés-associés et associés-dirigeants mais également
à équilibrer des rapports tels que, par exemple : associés-salariés, dirigeants-salariés,
salariés-fournisseurs, associés-consommateurs voire associés-collectivité dès lors que
l'on considère, par exemple, que la société doit également protéger l'Environnement.
Nous ne cherchons toutefois pas ici à nous prononcer sur le débat portant sur la
définition de la société. En effet, au-delà du fait qu'il a déjà été alimenté par les meilleurs
esprits, il n'est pas certain qu'une réponse scientifique existe, en ce sens qu'aucune
réponse ne peut ici se fonder exclusivement sur la science juridique mais
emprunte probablement également à l'idéologie, selon que l'on favorise une approche
libérale ou sociale de l'économie.
Nous posons uniquement la question suivante : l'intégration au sein du droit des
sociétés, par le Parlement et le Gouvernement, de règles ayant vocation à protéger les
intérêts des salariés ou un intérêt collectif, comme la protection de l'Environnement,
est-elle bien-fondée ? Plus précisément, il s'agit de déterminer si le droit des sociétés,
tel qu'il est construit aujourd'hui, est apte ou non à prendre en charge les intérêts
nouveaux que lui affectent le Parlement et le Gouvernement.
évoluer pour répondre aux besoins de l'entreprise : M. ROUSSILLE, « Loi de 1966 et entreprise », Dr. sociétés
2017, nº 2, dossier 5.
204. A. COURET,« L'intérêt social », Cah. dr. entr. 1996, nº 4, p. 1.
205. V. D. SCHMIDT, « De l'intérêt social », JCPE 1995. I. 488 ; D. SCHMIDT, « De l'intérêt commun des
associés », JCPE 1994. I. 404 ; D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme,2e
ed., Joly,
2004, nº 11 et s. ; Ph.MARINI, Rapport au premier ministre. La modernisation du droit des sociétés,La
documentation française, 1996, p. 12 : « la première raison d'être de toute société est l'enrichissement de
ses actionnaires » ; M. GERMAIN,« L'intérêt commun des actionnaires », Cah. dr. entr. 1996, nº 4, p. 13 ;
G. SOUSI, L'intérêt social dans le droitfrançais des sociétés commerciales, th. Lyon III, 1974, nº 292 et s.,
p. 280 et s.
206. V. not. P. BISSARA, «L'intérêt social », Rev. sociétés 1999. 5 ; D. PORACCHIA, « Le rôle de l'intérêt
social dans la société par actions simplifiée », Rev. sociétés 2000. 223 ; F. DEBOISSY, « Le contrat de société »
in Le contrat, Travaux de l'Association Capitant, 2005, p. 119, spéc. nº 15 (l'intérêt de la société étant
entendu comme l'intérêt commun des associés) ; A. CONSTANTIN,« L'intérêt social : quel intérêt ? » in Études
offertes à Barthélémy Mercadal, 2002, F. Lefebvre, p. 317 et s.
207. J. PAILLUSSEAU, La société anonyme : technique d'organisation de l'entreprise, Sirey, 1967,
p. 196 et s. ; J. PAILLUSSEAU, « Les fondements du droit moderne des sociétés », JCP 1984. I. 3148 ;
J. PAILLUSSEAU, « Le droit moderne de la personnalité morale », RTD Civ. 1993. 705, nº 64 et s. ; N. DION,
« Entreprise, espoir et mutation », D. 2001. 762.
208. F.-G. TREBULLE, « Stakeholders Theory et droit des sociétés », Bull. Joly 2007, p. 7.
209. À ce titre, le Conseil constitutionnel a considéré que le Parlement était compétent pour fixer les
règles relatives à la constitution des sociétés, aux liens établis entre les parties par le contrat de société et
aux rapports susceptibles d'être noués par les sociétés avec les tiers (CC, nº 65-35 L, 2juillet 1965).
Bibliothèque de droit privé - Tome 640 - Les sources du droit des sociétés

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit privé - Tome 640 - Les sources du droit des sociétés
