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PRÉCIS DE CULTURE JURIDIQUE
que les classifications sont politiquement neutres. Ainsi, il a été reproché à David de vouloir
assurer à la France une place de choix en distinguant les systèmes romano- germanique,
socialiste et de common law, puis en isolant au sein de chacun d'eux le droit dominant. Ce
qui permettait, en cette période de Guerre froide, de hisser la France au niveau des ÉtatsUnis
et de l'ex- URSS24
. De leur côté, Zweigert et Kötz, en séparant la famille romaniste de
la famille germanique, auraient voulu replacer l'Allemagne et la France à égalité25
. Parfois la
classification est le prétexte au chauvinisme : telle notion ou telle institution est disqualifiée
non pas après un examen attentif de ses limites, mais au seul motif qu'elle appartient à
une tradition juridique distincte. L'objectif politique opposé est concevable. Par exemple,
le regroupement de tous les droits européens, droit anglais compris, au sein d'une seule
et même tradition, permet d'occulter ou de relativiser les divergences entre les pays et de
présenter l'existence d'une « identité commune », étape préalable vers le rapprochement,
comme un fait objectif. Par ailleurs et pour en revenir aux facteurs culturels d'influence,
le caractère ethnocentrique des classifications usuelles saute aux yeux. Plus on s'éloigne
des droits occidentaux, moins la catégorisation repose sur un critère ferme. C'est tantôt
le facteur religieux (le droit musulman par exemple), tantôt une zone géographique (l'Asie
ou l'Afrique) qui l'emporte. Ainsi s'explique, par exemple, que le droit japonais soit classé
comme un droit oriental par certains, comme un droit de tradition civiliste pour d'autres, ou
comme un droit de tradition juridique occidentale pour d'autres encore. Par- delà ces hésitations
sans conséquence sérieuse, c'est la fiabilité de l'analyse qui est en cause. En effet, la
classification est élaborée à partir des conceptions que connaît son auteur. Or rien ne dit
que « sa » conception de la coutume, « sa » conception de l'État de droit, « sa » conception
de la constitution, « sa » conception du rapport entre droit et politique, pour ne prendre
que ces quelques exemples, fassent sens dans les droits étudiés. Deux conséquences au
moins s'ensuivent. La première est le risque de nier la vocation des droits « éloignés » à
constituer des systèmes spécifiques et par suite de les rattacher abusivement soit à la
tradition civiliste, soit à la tradition de common law. La seconde, plus radicale, est de nier
l'existence d'un droit dans le pays considéré. C'est ainsi que, pendant longtemps, l'existence
d'un droit chinois a été contestée26
.
Enfin, l'entreprise de classification des droits étrangers est dépassée ou en passe de l'être.
Cela s'explique par des évolutions internes à chaque droit qui remettent en cause la pertinence
d'éléments qui étaient considérés jusqu'alors comme caractéristiques d'un système
donné - par exemple, le recours répandu aux textes (lois et décrets), l'attrait de la codification,
l'emploi plus fréquent d'un style discursif pour la rédaction des arrêts des juridictions
suprêmes, le brouillage de la distinction du fait et du droit à la faveur du contrôle des droits
fondamentaux (notamment du principe de proportionnalité), la généralisation de certaines
pratiques (groupes de pression devant les assemblées, amici curiae, etc.), le développement
d'un droit « souple ». Par ailleurs, dans la mesure où les classifications ont pour objet les
seuls droits nationaux étatiques, leur dépassement s'explique aussi par le mouvement de
régionalisation (en Europe notamment) et de transnationalisation ou globalisation du droit27
.
24. V. MonAteri P. G., « Éléments de comparaison des études comparatives », in legrAnd P. (dir.), Comparer les droits,
autrement, 2009, PUF, p. 69, spéc. p. 94-95.
25. Ibid., p. 95.
26. V. ruskolA T., Legal Orientalism, 2013, Harvard Univ. Press.
27. V. Muir wAtt H., " Globalization and Comparative Law " , in reiMAnn M., ziMMerMAnn R. (eds), The Oxford Handbook of
Comparative Law, 2nd
ed., 2019, Oxford Univ. Press, p. 599.
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