Bibliothèque de droit privé - Tome 645 - Des bonnes mœurs à l'autonomie personnelle - 51

LES BONNES MŒURS, NOTION EXALTÉE PAR LA LOI
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I. UN INSTRUMENT DE DIRECTION AU SERVICE DU DROIT
48. Les bonnes mœurs réalisent pleinement une vision prophylactique du droit
(A), et participent ainsi à l'œuvre de « reconstruction sociale »86 entreprise par les
rédacteurs du Code civil en assurant la conservation des mœurs dans la société (B).
A. L'EFFET PROPHYLACTIQUE DES BONNES MŒURS
49. L'art législatif regorge de subtilités que masquent parfois les simples commandements
ou interdictions édictés par la loi. Ces subtilités établissent la force d'une
législation, fondent sa cohérence et assurent sa pérennité. L'effet prophylactique
constitue à cet égard un instrument puissant à la disposition du législateur mais, paradoxalement,
difficile à appréhender. M. Malaurie range en effet ce dernier parmi
les « effets souterrains de la loi », ces effets « invisibles [...] et presque
mystérieux »87 qui, pourtant, parcourent le Code civil depuis 1804. Aussi Portalis,
dans ce passage désormais bien connu, concluait-il en ces termes son Discours préliminaire
: « Notre objet a été de lier les mœurs aux lois, et de propager l'esprit de
famille qui est si favorable, quoi qu'on en dise, à l'esprit de cité. [...] Les vertus privées
peuvent seules garantir les vertus publiques ; et c'est par la petite patrie, qui est
la famille, que l'on s'attache à la grande ; ce sont les bons pères, les bons maris, les
bons fils, qui font de bons citoyens. Or il appartient essentiellement aux institutions
civiles, de sanctionner et de protéger toutes les affections honnêtes de la nature »88.Il
illustrait ainsi le pouvoir considérable des mœurs, et dès lors tout l'intérêt qu'il y
aurait à les orienter avec le droit, véritable « boussole »89 des comportements.
Délaissant une vision purement fonctionnelle, voire utilitariste du droit, le Code
civil se fit pédagogue. La loi ne se contente plus de marquer la frontière entre le licite
et l'illicite, mais attache un effet préventif à la règle de droit. La prévention passe tout
d'abord par l'incitation, la règle attachant alors un bienfait à la réalisation d'un acte
socialement souhaitable et qu'elle veut promouvoir. Elle passe également par la dissuasion,
par la perspective d'une sanction attachée à un acte socialement répréhensible.
La règle devient alors intimidante, et sa sanction, intériorisée, évolue de ce fait
comme une seconde nature pour l'individu90. La loi est, en quelque sorte, pédagogue
car elle éduque par la constitution d'une morale91.L'homme se trouve ainsi touché
86. X. Martin, Mythologie du Code Napoléon : aux soubassements de la France moderne, DDM,
2003, p. 455.
87. Ph.Malaurie, « L'effet prophylactique du droit civil », Mélanges J. Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 670.
88. J.-E.-M. Portalis, « Discours préliminaire sur le projet de Code civil présenté le 1er
pluviôse an
IX », Le Discours et le Code, LexisNexis, 2004, p. LVI.
89. Ibid., p. XXIX.
90. L'intériorisation de la norme présente cependant certains degrés ; comme l'énonce M. Benisty,
cette adhésion à la norme peut être vécue « soit comme une " exigence intime " (adhésion intrinsèque), soit
à la manière d'un " formalisme, où l'individu cherche surtout dans [les normes] une sécurisation en tant
[qu'elles] assignent un guide de conduite ou de pensée [...] " (adhésion extrinsèque) », (La norme sociale
de conduite saisie par le droit, thèse, préf. Th. Clay, LGDJ-Lextenso éd., 2014, nº 131, p. 142).
91. Cependant, il faut noter à l'image deM. Machefert que « si le droit a toujours été un outil de (con)
formation des consciences à des valeurs communes, il arrivait toujours néanmoins en second, après ce qu'on
peut nommer la Morale. C'est d'abord l'émergence d'une valeur morale qui conduisait à une inscription positive
de la loi, puis en retour à un renforcement dans les mœurs et les mentalités de la norme morale fondatrice
de la loi », (« Peut-on fonder une éthique sur la liberté ? Les apories de l'individualisme dans la philosophie
morale contemporaine », La libre disposition du corps, dir. J.-M. Larralde, Bruylant, Nemesis, 2009, p. 42).
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