Bibliothèque de droit privé - Tome 645 - Des bonnes mœurs à l'autonomie personnelle - 69

LES BONNES MŒURS, NOTION DÉLAISSÉE PAR LA JURISPRUDENCE
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liens d'un contrat choquant au regard de l'ordre public ou des bonnes mœurs »24 ;la
dissimulation avait, selon la Cour, plus de valeur que la bonne foi. La solution ne
protégeait cependant pas plus les intérêts particuliers que l'intérêt général en laissant
subsister dans la société des contrats illicites ou immoraux. La première chambre
civile de la Cour de cassation, animée par un souci de « moralisation des
contrats »25, modifia cette jurisprudence en décidant qu'un « contrat peut être annulé
pour cause illicite ou immorale, même lorsque l'une des parties n'a pas eu connaissance
du caractère illicite ou immoral du motif déterminant de la conclusion du
contrat »26. Si cette solution supprime un obstacle de taille au contrôle de la cause
illicite, la protection du contractant innocent passe cependant au second plan. Il fallait
donc intervenir, non plus au stade des conditions de la nullité, mais à celui de ses
modalités.
B. LE DURCISSEMENT DE LA SANCTION
82. Le contrôle de la cause du contrat, s'il révèle un motif immoral, frappe la
convention de nullité absolue, et ce, quelle que soit la conception que l'on adopte de
cette sanction. En effet, la théorie classique s'attachait au critère de la gravité du vice
affectant le contrat. Assimilé à un organisme vivant27, ce dernier était alors atteint
d'une véritable pathologie dont la gravité déterminait le régime juridique de la nullité :
« certains vices sont guérissables (nullité relative permettant la réparation du vice),
tandis que d'autres ne le sont pas (nullité absolue laquelle est irrémédiable) »28.
Sous cet angle, l'immoralité du contrat n'apparaît pas comme l'un de ces vices « guérissables
» ou autres imperfections « superficielles »29 autorisant une nullité simplement
relative ; elle gangrène le contrat, laissant comme seule sanction possible la nullité
absolue30. Abandonnant ces métaphores médicales, les auteurs, et notamment
Japiot31, ont élaboré dès le XXe
de la règle transgressée. Il conviendrait en effet d'envisager la nullité comme « un
droit de critique [...] permettant de rétablir la légalité dans la mesure exigée par le
biais exploiter une maison de tolérance, le bailleur s'opposa à l'exécution de la promesse en invoquant la
nullité du contrat. La Cour de cassation refusa d'anéantir le contrat car les deux parties n'avaient pas
convenu de cette exploitation. V. G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, LGDJ-Lextenso
éd., 4e
éd., 2014, nº 35, p. 68. : « Mais ne serait-il pas plus injuste encore de le maintenir parce que l'une des
parties a réussi à dissimuler le motif qui le faisait agir ? ».
24. A.Weil, « Connaissance du motif illicite ou immoral déterminant et exercice de l'action en nullité
», Mélanges G. Marty, Université des sciences sociales de Toulouse, 1978, p. 1175.
25. G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, LGDJ-Lextenso éd., 4e
p. 69.
26. Cass. 1re civ., 7 oct. 1998, nº 96-14359, Bull. I, nº 285 ; D. 1998, p. 563, concl. J. Sainte-Rose ;
RTD civ. 1999, p. 383, obs. J. Mestre ; JCP 1999, I, 114, p. 368, obs. Chr. Jamin ; Defrénois 1998,
p. 1408, obs. D. Mazeaud ; GAJC, t. 2, 2015, nº 58, p. 123.
27. Sur l'exagération de cette métaphore par la thèse de René Japiot, (Des nullités en matière d'actes
juridiques, Essai d'une théorie nouvelle, thèse, Librairie nouvelle de droit et de jurisprudence, 1909),
v. A. Posez, « La théorie des nullités. Le centenaire d'une mystification », RTD civ. 2011, p. 647, spéc.
pp. 653-656.
28. M. Fabre-Magnan, Droit des obligations,t. 1 Contrat et engagement unilatéral, PUF, 3e
2012, p. 466.
29. Fr. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 11e
30. V. not. J. Carbonnier, Droit civil,t. 4, Les obligations, PUF, 22e éd., 2000, nº 104, p. 203.
31. R. Japiot, Des nullités en matière d'actesjuridique, Essai d'une théorie nouvelle, thèse, Librairie
nouvelle de droit et de jurisprudence, thèse, 1909.
éd.,
éd., 2013, nº 87, p. 115.
éd., 2014, nº 36,
siècle une théorie moderne des nullités axée autour
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