Bibliothèque de droit privé - Tome 645 - Des bonnes mœurs à l'autonomie personnelle - 99

LES BONNES MŒURS, NOTION DÉLAISSÉE PAR LA JURISPRUDENCE
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simplement de cautionner l'illicite, il refusa de se prononcer sur l'illicéité des produits
objets des publicités litigieuses : ne demeurent, selon lui, que de simples « évocations,
des jeux de mots ou des phrases à double sens qui suggèrent la possibilité d'utiliser le
service offert par le site Gleeden, tout un chacun étant libre de se sentir concerné ou
pas par cette proposition commerciale »257. On retrouve cette idée du but, que l'on
peut choisir ou non de mettre à exécution258. La question est alors clairement renvoyée
aux juridictions, plus spécialement au tribunal de grande instance de Paris que
saisirent les Associations familiales catholiques le 19 février 2015. Ces dernières attaquent,
plus que les campagnes, l'objet social de la société Black Divine LLC, lequel
violerait ouvertement l'article 212, disposition pourtant impérative. En effet, la société
litigieuse ne serait pas qu'un simple entremetteur, « elle incite, invite et crée les offres
et demandes. Cette démarche n'est pas un " service rendu " pour une demande exprimée
par un client, mais l'initiative d'une offre émanant de la société elle-même »259.
Malheureusement, ni le tribunal de grande instance ni la cour d'appel de Paris260
n'entendirent ces arguments. L'affaire fut donc portée devant la Cour de cassation
qui resta fidèle, si l'on peut dire, à sa ligne de conduite : « Ayant ainsi fait ressortir
l'absence de sanction civile de l'adultère en dehors de la sphère des relations entre
époux, partant, l'absence d'interdiction légale de la promotion à des fins commerciales
des rencontres extra-conjugales, et, en tout état de cause, le caractère disproportionné
de l'ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression que constituerait
l'interdiction de la campagne publicitaire litigieuse, la cour d'appel a, par ces
seuls motifs [...] légalement justifié sa décision »261. Il faut ainsi comprendre que l'ordre
public de l'article 212 ne concerne que les époux, le mariage et non la société dans
son ensemble262 ; dès lors, il doit céder la place devant la sacro-sainte liberté d'expression.
Portalis avait pourtant prononcé quelques mises en garde pour le jour où
les bonnes mœurs seraient ouvertement blessées : « bientôt l'honnêteté publique ne
serait qu'un vain nom et toutes les idées d'honneur, de vertu, de justice, seraient remplacées
par les lâches combinaisons de l'intérêt et par les calculs du vice »263.Si
Mme
Géraud-Llorca souligne la « sombre vision de la nature humaine »264 que révèlent
ces prédictions, il n'en demeure pas moins qu'elles semblent malheureusement se
réaliser, avec, bien souvent, un soutien doctrinal décisif.
257. Loc. cit.
258. Les sites de rencontres adultères apparaissent ainsi hors d'atteinte, sauf peut-être des « hackers »
qui n'ont pas hésité à pirater le 19juillet 2015 le système d'Avid Life Media, une entreprise possédant le
site de l'un des leaders mondiaux des rencontres extra-conjugales, « AshleyMadison ». Ils menacèrent en
effet de révéler l'identité des clients si le site n'était pas fermé sans délai.
259. A. Cheynet de Beaupré, « Infidélité : la pomme de discorde », RJPF 2015, nº 14, p. 11.
260. Respectivement, TGI Paris, 9 févr. 2017, nº 15/07813 et CA Paris, 17 mai 2019, RG
nº 17/04642.
261. Cass. 1re
civ., 16 déc. 2020, nº 19-19387.
262. Il est vrai que l'arrêt d'appel ne mentionne pas moins d'un million de membres en France pour
le site Gleeden.
263. J.-E.-M. Portalis, séance du 4 ventôse An X (23 févr. 1803) devant le Corps législatif, Arch.
Parl.2e série, t. IV, p. 16, cité par E. Géraud-Llorca, « L'introduction des bonnes mœurs dans le Code
civil », Les bonnes mœurs, CURAPP, PUF, 1994, p. 73.
264. E. Géraud-Llorca, art. précité, p. 73.

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