Bibliothèque de droit privé - Tome 646 - Les droits finalisés dans le contrat - 159

LA CARACTÉRISATION POSITIVE
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que le seuil requis de précision du motif ne peut être donné de manière abstraite, il
n'est pas toujours aisé d'établir une frontière étanche entre les motifs suffisamment
précis et ceux qui ne le seraient pas179. Ensuite, la précision du motif a pour but de
permettre au juge de contrôler l'existence ainsi que la pertinence du motif allégué par
le titulaire du droit dont l'exercice est querellé. La chambre sociale de la Cour de
cassation retient que l'imprécision des griefs formulés par l'employeur ne permet
pas au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués180. Par ailleurs,
s'agissant du droit de l'employeur d'évaluer ses salariés, il a également été jugé que
l'appréciation des aptitudes professionnelles du salarié ne doit pas reposer sur des
critères « trop imprécis pour établir une relation directe suffisante avec une activité
professionnelle » et qui « nécessitent une appréciation trop subjective de la part de
l'évaluateur »181. Cela se comprend aisément dans la mesure où un motif formulé de
manière trop vague ou imprécise ne permettrait pas au juge de vérifier l'exactitude de
la raison invoquée à l'appui d'une décision. À défaut d'être sanctionnée, l'imprécision
du motif permettrait de dissimuler derrière des motifs apparents les raisons véritables
de l'action, et ce d'autant que celles-ci seraient inavouables. Par conséquent, l'exigence
de précision et d'objectivité du motif traduit, avant tout, la volonté d'éviter
que la décision unilatérale du contractant soit prise de manière irréfléchie182.
174. Influence de l'indétermination du standard de justification sur le contenu
des motifs admis. - Il arrive que le législateur, les juges, ou même les parties dans la
mesure où une telle faculté leur est reconnue, prédéterminent le contenu des motifs justifiant
l'exercice d'un droit. Par exemple, l'article 15-I de la loi de 1989 prévoit que le congé
délivré par le bailleur au preneur d'un bail d'habitation peut être justifié par sa décision
d'habiter oudevendrelelogement. De la même manière, uneclaused'agrément pourrait
limitativement fixer les motifs pour lesquels l'agrément du candidat peut être refusé183.Les
finalités pour lesquelles un contractant peut légitimement faire usage d'un droit peuvent
donc être déterminées apriori de manière très concrète, de sorte que leur contenu ne serait
susceptible d'aucun élargissement. Toutefois, dans la plupart des cas, l'exigence de justification
de l'exercice d'un droit se présente sous forme d'un standard juridique184.Les références
au standard du «juste motif» ou aux notions équipollentes finalisent l'exercice des
droits du contractant. De manière délibérée, le législateur n'enferme pas ces standards de
179. V. par ex. Cass. 3e civ., 11 mai 1995, nº 93-18317.
180. Cass. soc., 31 mai 1978 : D. 1978, inf. rap. 388, obs. J. PÉLISSIER.
181. CAToulouse, 21 sept. 2011, nº 11/00604 : RDT 2011, p. 705, obs. P. ADAM.
182. Rappr. A. LYON-CAEN, « Juger la gestion », art. préc., spéc. p. 22 : « " Raisonner " c'est, d'abord,
prendre en compte les circonstances ; autrement dit éviter les généralités. Se défier des préjugés, grâce à la
considération attentive des circonstances explique pourquoi, lorsqu'ils contrôlent les raisons d'une décision,
les juges sont préoccupés des faits et de leur établissement. L'exigence dite " d'objectivité " n'est pas
loin, si l'on veut bien y voir l'obligation d'ausculter les circonstances et de sélectionner celles qui ont un
poids dans le processus de décision » ; G. HELLERINGER, Les clauses du contrat, Essai de typologie, op. cit.,
nº 432, p. 242 : « Ainsi la motivation contribue à prémunir contre l'arbitraire qui menace de marquer
l'usage du pouvoir. La justification qu'elle nécessite empêche le contractant d'agir de façon impulsive,
puisqu'il se trouve tenu d'objectiver les raisons de sa décision afin de les énoncer ».
183. Sur une telle possibilité, P. MOUSSERON,J. RAYNARD et J.-B. SEUBE, Technique contractuelle,
5e
éd., 2017, nº 948, p. 297.
184. V. égal. en ce sens, X. LAGARDE, « La motivation des actes juridiques », art. préc., spéc. p. 81 :
« Contrôler la pertinence du motif, c'est vérifier que le motif allégué est de nature à justifier l'acte pris. En
principe, la vérification se fait par rapport à un standard légal, par exemple, la faute, laquelle peut justifier le
licenciement » ; P. LOKIEC, Contrat et pouvoir, Essai sur les transformations du droit privé des rapports
contractuels, op. cit., nº 411, p. 301 : « [...] le standard n'est rien d'autre qu'une technique de formulation
des motifs légitimes de la décision ».
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