Bibliothèque de droit privé - Tome 646 - Les droits finalisés dans le contrat - 227

LES FONCTIONS DE LA RATIONALISATION DES DÉCISIONS
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péremptoire de congé. Une telle position semble conforme à la présomption de bonne foi
dont bénéficie le bailleur. En effet, la fraude ne se présumant pas, la sincérité de de la
décision de reprise est présumée. La solution contrarie toutefois l'esprit des dispositions
de l'article 15-I de la loi du 6juillet 1989. Qu'en est-il de la reprise du logement par le
bailleur pour habiter ? Afin de répondre à cette interrogation, une décision rendue le
7mai 2002 par la Cour de cassation mérite d'être évoquée57.Enl'espèce, le 26 septembre
1991, une bailleresse a donné congé aux locataires, pour le 15juillet 1992, aux fins
de reprise de l'immeuble pour habiter. Postérieurement au départ des preneurs le
28 février 1992, l'immeuble a été redonné en location à de nouveaux preneurs le
17juin 1993, et ce pour un loyer supérieur à celui qui était payé par les précédents preneurs.
Les juges d'appel ont estimé que la bailleresse a exercé frauduleusement son droit
de reprise dès lors qu'elle ne rapportait pas la preuve de la réalité du projet d'installation
dans l'immeuble loué. La haute juridiction a relevé d'une part que « [la bailleresse] qui
prétendait s'être installée dans les lieux, après l'exécution de travaux, n'en rapportait pas
la preuve » et d'autre part que « les anciens locataires démontraient que la maison n'avait
pas été habitée depuis leur départ, jusqu'àl'été 1993 et qu'une personne avait visité les
locaux au printemps 1992, en vue d'une location »58. Selon la Cour de cassation, c'est
sans inverser la charge de la preuve que la cour d'appel en a déduit que la bailleresse
n'avait jamais eu l'intention d'habiter la maison. La relocation du logement postérieurement
au départ des locataires congédiés permet ainsi d'établir la fraude du bailleur59.
L'affirmation selon laquelle le bailleur n'a pas prouvé son installation dans le logement
litigieux pourrait laisser penser que la charge de la preuve pèse sur celui-ci. Il n'en est
pourtant rien. En effet, la solution signifie qu'à partir du moment où le preneur prouve
que le logement n'a pas été occupé, il revient au bailleur d'apporter des éléments de
nature à établir l'absence de fraude, autrement dit la réalité de son intention. À défaut,
le bailleur doit succomber. En tout état de cause, c'est sur le locataire que pèse initialement
la charge de la preuve du caractère frauduleux du congé60.D'un point de vue probatoire,
la position du locataire reste donc moins enviable que celle du bailleur61.
251. En offrant au juge le pouvoir de contrôler, même d'office, la réalité du
motif du congé et ainsi de vérifier que celui-ci se trouve justifié par des éléments
légitimes et sérieux62, le législateur de 2014 a ouvert la voie d'un contrôle a priori
qui n'était jusque-là envisageable que de manière exceptionnelle63. Ce faisant, il
57. Cass. 3e civ., 7 mai 2002, nº 00-14128.
58. Cass. 3e civ., 7 mai 2002, préc.
59. Comp. Cass. 3e civ., 18 nov. 1998, nº 96-21706.
60. C. BÉROUJON, « Baux d'habitation : quel avenir pour l'obligation de renouvellement ? », art. préc.,
spéc. p. 169-170 : « C'est [...] le plus souvent la non-réalisation des fins qui l'ont justifié qui fait suspecter
la sincérité des motifs du congé allégués par le bailleur. [...] Encore le fardeau de la preuve qui [...] incombe
[aux locataires] n'est-il guère allégé dans ce cas de figure, l'absence de réalisation des buts officiellement
poursuivis par le bailleur, n'étant pas en soi constitutive de la fraude ».
61. Ibid., spéc. p. 171 : « [...] concernant la charge de la preuve, la situation du bailleur qui cherche à
faire produire des effets à un acte dont il a soigneusement choisi les termes est toujours plus confortable que
celle du locataire ».
62. Art. 15-I modifié par la loi ALUR du 24 mars 2014 : « En cas de contestation, le juge peut, même
d'office, vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues au présent article. Il peut
notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n'apparaît pas justifiée par des
éléments sérieux et légitimes ».
63. Peuvent être mentionnées, à ce titre, les décisions déduisant du caractère manifestement excessif
ou exorbitant du prix fixé le caractère frauduleux du congé. V. par ex., CA Aix-en-Provence, 4juin 2008 :
Loyers et copr. 2008, comm. 240, obs. B. VIAL-PEDROLETTI.
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