Bibliothèque de droit privé - Tome 646 - Les droits finalisés dans le contrat - 320

320
LES DROITS FINALISÉS DANS LE CONTRAT
contractants ne revêtent pas en soi un caractère illicite. Elles peuvent néanmoins
constituer la source d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties dans la mesure où « le pouvoir unilatéral est réservé à un contractant et laissé
à sa discrétion »145. Une clause ne saurait ainsi être considérée comme créant un déséquilibre
significatif lorsqu'elle confère à l'ensemble des parties la même prérogative
et qu'elle prévoit pour celle-ci des conditions d'exercice similaires, indépendamment
de la personne de son titulaire146. La Cour de cassation a, en ce sens, estimé qu'une
cour d'appel a pu retenir que ne créait pas un déséquilibre significatif entre les parties
« la clause de résiliation anticipée [qui] confère au concédant comme au concessionnaire
le même droit de mettrefin au contrat et dans les mêmes conditions, notamment
sansjustification d'unefaute »147 puisque « les intérêts de l'un comme de l'autre peuvent
varier en fonction de l'évolution de leurs situations et de la conjoncture
économique »148. Dès lors que la clause du contrat confère aux parties la même prérogative
de rupture pouvant être exercée dans des conditions identiques, l'existence
d'un déséquilibre significatif se trouverait écartée. Toutefois, certaines décisions
paraissent enclines à lever le voile apparent de la bilatéralité d'une stipulation afin
de caractériser un déséquilibre significatif dès lors que « la réciprocité de la mise en
jeu de la clause, son utilisation par le fournisseur restent grandement théoriques »149.
Cette possibilité de relever le caractère abusif d'une clause attribuant aux parties la
même prérogative repose sans doute sur l'idée selon laquelle « un même droit accordé
à deux parties ne donne pas nécessairement le même avantage pour chacune
d'elles »150. Il est tout à fait concevable que la clause attribuant de manière réciproque
une prérogative soit génératrice d'un déséquilibre significatif entre les droits et obligations
des parties dès lors qu'elle n'est en réalité stipulée que dans le seul intérêt du
contractant dominant. La possibilité de relever le caractère abusif d'une telle clause
mérite donc une entière approbation. Comme l'a justement soutenu M. Barbier, « la
prime à l'octroi à l'autre partie d'une prérogative chimérique pour soi-même se garantir
de la validité d'une prérogative bien réelle n'a rien de satisfaisant »151. Bien qu'une
telle assertion semble difficilement contestable au fond, certains considèrent que les
juges devraient, principalement pour des raisons de sécurité juridique, s'en tenir à une
approche strictement juridique de la mise en balance des droits et obligations des
parties152.
342. S'agissant enfin de l'appréciation du déséquilibre significatif au sens de
l'article 1171 du Code civil, il est fort à parier que les juges s'inspireront, au terme
d'un raisonnement analogique, des solutions d'ores et déjà dégagées par la jurisprudence
à propos des deux autres dispositifs de lutte contre les clauses abusives prévues
145. CEPC, avis, nº 14-06 du 19juin 2014 : AJCA 2014, p. 382, obs. B.MATHIEU.
146. V., par ex., CA Paris, 15janv. 2014, nº 12/13845.
147. Cass. com., 12 avr. 2016, nº 13-27712 : CCC 2016, nº 142, note N.MATHEY; RTD civ. 2016,
p. 618, obs. H. BARBIER ; JCP E 2016, 1474, note S. LE GAC-PECH (nous soulignons).
148. Ibid.
149. Cass. com., 3 mars 2015, nº 14-10907 : D. 2015. 996, chron. J. LECAROZ,F. ARBELLOT,S. TRÉARD
et T. GAUTHIER ; ibid. 2016. 964, obs. D. FERRIER ; RTD com. 2015, p. 486, obs. M. CHAGNY.
150. H. BARBIER, obs. sous Cass. com., 12 avr. 2016, RTD civ. 2016, p. 618.
151. Ibid.
152. V. N.MATHEY, note sous Cass. com., 12 avr. 2016, CCC 2016, nº 142 : « L'approche juridique est
sans doute un peu formelle mais elle est un facteur de sécurité juridique. Les parties qui ont négocié le
contrat régissant leur relation commerciale pourront légitimement espérer échapper à la critique si elles
veillent à bilatéraliser les prérogatives contractuelles sensibles telles que la faculté de résiliation. Demander
au juge d'aller au-delà deviendrait risqué ».

Bibliothèque de droit privé - Tome 646 - Les droits finalisés dans le contrat

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit privé - Tome 646 - Les droits finalisés dans le contrat