Bibliothèque de droit privé - Tome 646 - Les droits finalisés dans le contrat - 57

LES MANIFESTATIONS DANS LES DISPOSITIONS TEXTUELLES
57
décisions qui seront rendues au visa des nouveaux textes107. Il est en tout cas certain
que l'exigence faite au contractant de fournir les raisons qui motivent ses choix
encourage la possibilité d'un contrôle de leur bien-fondé.
46. Les raisons du rejet de l'exigence de justification. - La mise à l'écart de
l'exigence de justification des dispositions du droit commun des contrats s'observe
tout d'abord à travers le choix opéré par la réforme de 2016-2018 d'écarter le terme
«justifier » du vocabulaire contractuel. Tel est le cas des nouveaux textes consacrant
la faculté de fixation unilatérale du prix. En effet, alors que les articles 1163 et 1164
du projet d'ordonnance mentionnaient une obligation de «justifier » le prix, l'ordonnance
de 2016 a finalement retenu dans les articles 1164 et 1165 le terme
« motiver »108. Le choix du mot « motiver », ou plus exactement celui d'écarter le
mot «justifier », n'a assurément rien de fortuit109. Un tel rejet de l'exigence de justification
se manifeste également au regard du contenu des règles composant le Code
civil rénové. À ce titre, en présence d'un contrat à durée indéterminée dont la rupture
n'est pas encadrée par des textes spéciaux, le législateur reconnaît à chacune des parties
une faculté de rupture unilatérale à condition pour elles d'observer un délai de
préavis suffisant. L'article 1211 du Code civil prévoit ainsi que « lorsque le contrat
est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout
moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à
défaut, un délai raisonnable »110. La Cour de cassation estime, classiquement, que
cette rupture peut être décidée librement, en ce sens qu'elle ne se trouve subordonnée
à aucune exigence de justification ni de motivation111. À défaut de dispositions particulières,
le principe est donc, en droit commun des contrats, celui d'une rupture non
finalisée du contrat conclu à durée indéterminée. Une telle faculté de rupture discrétionnaire
tire son fondement de la prohibition des engagements perpétuels112.La
reconnaissance d'un principe général de prohibition des engagements perpétuels par
107. S'interrogeant sur la portée exacte de la procédure instaurée par le texte, D.MAINGUY (dir.), Le
nouveau droit français des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, public. électron.
www.daniel-mainguy.fr, Montpellier, 2016, nº 238, p. 192 ; G. CHANTEPIE, « Réduction du prix et résolution
par notification », in M. Latina (dir.), La réforme du droit des contrats en pratique, Dalloz, 2017, p. 83 et s.,
spéc. nº 14.
108. Sur un tel constat, O. DESHAYES,T. GENICON et Y.-M. LAITHIER, Réforme du droit des contrats du
régime général et de la preuve des obligations,2e éd., LexisNexis, 2018, note 505, p. 313. V. en jurisprudence,
antérieurement à la réforme, Cass. 1re civ., 30juin 2004, nº 01-00475 : Bull. civ. I, nº 190 ; D. 2005,
p. 1828, note D.MAZEAUD ; CCC 2003, nº 151, note L. LEVENEUR ; RDC 2005, p. 275, obs. P. STOFFELMUNCK
; RTD civ. 2004, p. 749, obs. P.-Y. GAUTIER.
109. V. de manière générale, G. LYON-CAEN, « Le langage en droit du travail », in N. Molfessis (dir.),
Les mots de la loi, Economica, 1999, p. 1 et s., spéc. p. 1 : « Pour dire l'essentiel en une formule simple : le
choix des mots est un acte politique du législateur ».
110. V. égal. en jurisprudence, Cass. com., 8 févr. 2017, nº 14-28232 : D. 2017, p. 678, note
A. ETIENNEY DE SAINTE-MARIE ; AJ Contrat 2017, p. 222, obs. CATTALANO-CLOAREC ; JCPG 2017, 325,
G. LOISEAU.
111. Par ex. Cass. 1re
civ., 21 févr. 2006, nº 02-21240 : Bull. civ.I, nº 82 ; CCC 2006, nº 99, note
L. LEVENEUR ; RDC 2006, p. 704, obs. D.MAZEAUD ; RTD civ. 2006, p. 314, obs. J. MESTRE et B. FAGES -
Cass. com., 10 nov. 2009, nº 08-21175 : CCC 2010, nº 36, note L. LEVENEUR - Cass. com., 26janv. 2010,
nº 09-65086 : Bull. civ. IV, nº 10 ; RTD com. 2010, p. 762, obs. D. LEGEAIS ; JCP E 2010, 1656, obs.
J.-B. SEUBE. V. égal. A. SONET, Le préavis en droit privé, op. cit., nº 540.
112. En ce sens, C. LARROUMET et S. BROS, Les obligations, Le contrat,10e
éd., Economica, 2021,
nº 158, p. 140 : « [...] la prohibition de l'engagement perpétuel, comme la reconnaissance du droit de résiliation
unilatérale supposent que cette faculté puisse être exercée librement et sans que les raisons en soient
données. Dans le cas contraire, on ruinerait la faculté de résiliation, en rapprochant exagérément le régime
du contrat à durée indéterminée de celui du contrat à durée déterminée ».
http://www.daniel-mainguy.fr
Bibliothèque de droit privé - Tome 646 - Les droits finalisés dans le contrat

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit privé - Tome 646 - Les droits finalisés dans le contrat
