Bibliothèque de droit privé - Tome 646 - Les droits finalisés dans le contrat - 91

LES MANIFESTATIONS DANS LE CONTENTIEUX CONTRACTUEL
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être directement invoqué à l'endroit d'une personne privée. Selon les mots de Rivero,
«s'il s'agit des créances, on voit mal comment celui qui en est titulaire pourrait
demander à un particulier de les honorer, alors que c'est la collectivité tout entière,
c'est-à-dire en fait l'État, qui s'est reconnu débitrice de la prestation. Qu'il s'agisse du
droit au travail, du droit à la santé et à la sécurité sociale, du droit à un niveau de vie
décent, on ne conçoit pas que leur reconnaissance permette à un individu de se tourner
vers un autre pour exiger de lui qu'il les satisfasse »164. Il en conclut que « le problème
de la protection des droits à prescriptions concrètes ne semble concerner les
rapports entre personnes privées qu'à titre subsidiaire »165. Pourtant, au sein de la
catégorie des droits fondamentaux, certains droits-créances se muent en véritables
droits subjectifs166, ce qui pourrait en théorie conduire, dès lors qu'ils entrent en
conflit avec d'autres prérogatives reconnues à des contractants, à une limitation des
possibilités d'exercice de celles-là167.
85. Illustration pratique. Pouvoirs de l'employeur versus droits fondamentaux
du salarié. - La chambre sociale de la Cour de cassation n'hésite pas à faire
explicitement mention, dans ses décisions, du caractère fondamental d'un droit ou
d'une liberté du salarié168. Ces références judiciaires à la fondamentalité indiquentelles
la réalisation d'un contrôle de la légitimité de l'atteinte aux droits fondamentaux
du salarié, notamment à travers un examen des motifs pour lesquels l'employeur use
de ses pouvoirs ? Tout d'abord, un tel contrôle de la justification en droit du travail
semble imposé par le législateur lui-même. L'article L. 1121-1 du Code du travail prévoit
que l'employeur « ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles
et collectives des restrictions qui ne seraient pasjustifiées par la nature des
tâches à accomplir ni proportionnées au but recherché »169. Au regard des termes du
texte, toutes les décisions prises par l'employeur dans l'exercice de ses pouvoirs
devraient être concernées dès lors qu'elles restreignent les droits fondamentaux du
salarié170. Si des entorses à ces droits demeurent valables, c'est à la condition qu'elles
soient à la fois justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but
p. 393 et s., spéc. p. 394. Selon l'auteur, l'emploi de l'expression « droit à... » constitue une « manière de
nommer des droits subjectifs ».
164. J. RIVERO, « La protection des droits de l'homme dans les rapports entre personnes privées », in
René Cassin amicorum discipulorumque liber, t. III, Pedone, 1971, p. 311 et s., spéc. nº 2, p. 312.
165. Ibid., spéc. nº 2, p. 313.
166. Sur un tel constat, D. COHEN, « Le droit à... », art. préc., spéc. p. 399-400 : « [...] plusieurs droits
à... sont aujourd'hui effectifs alors qu'ils n'étaient que virtuels voici trente ou quarante ans [...] ». V. de
manière critique, F. TERRÉ et N.MOLFESSIS, Introduction générale au droit,15e
éd., Dalloz, 2023, nº 29,
p. 38 : « La transformation de toute revendication identitaire en droit fondamental participe bien de ce
dévoiement des droits fondamentaux en droits situés, conjoncturels et catégoriels ».
167. V. à propos du droit au logement, J. LAFOND et B. VIAL-PEDROLETTI, Les baux d'habitation,8e
éd.,
LexisNexis, 2017, nº 20, p. 10 : « Jusqu'ici donc les tentatives faites par certaines juridictions du fond pour
appliquer de manière extensive le droit au logement, au préjudice du droit de propriété ont échoué. Mais il
n'est pas dit qu'il en sera toujours ainsi ».
168. V. O. DESAULNAY, « La fondamentalité des droits et des libertés », in R. Bernard-Menoret (dir.),
Le grand oral. Les droits et libertésfondamentales,2e éd., Ellipses, 2020, p. 23 et s., spéc. p. 27 où l'auteur
cite plusieurs décisions en ce sens. Rappr. F. GAUDU et F. BERGERON, Droit du travail 2024,10e
éd., Dalloz,
2023, nº 43, p. 47.
169. V. égal. P. WAQUET, « Le pouvoir de direction et les libertés des salariés » ; Dr. soc. 2000,
p. 1051 : « [Le juge] dispose de textes et d'une jurisprudence, aussi bien administrative que judiciaire, qui
lui permet de maintenir l'équilibre entre l'autorité de l'employeur et l'autonomie du salarié ».
170. Rappr. F. GAUDU et F. BERGERON, Droit du travail 2024, op. cit., nº 178 et s. ; F. FAVENNEC-HÉRY,
P.-Y. VERKINDT et G. DUCHANGE, Droit du travail, op. cit., nº 361, p. 326.
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