Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 41 - Le régime juridique des cultes non reconnus dans la France concordataire (1801-1905) - 517

LES LIMITES DU MODÈLE RÉVOLUTIONNAIRE...
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manifestation hardie et enthousiaste, tandis que de l'autre, on suppose que l'administration,
s'efforçant d'éluder les conséquences naturelles de la Charte, sera
superstitieuse, tracassière et sans loyauté »58.
Quant à la seconde condition énumérée, la mise en œuvre des règles de conflit de
lois dans le temps menait tout droit Dalloz à un renversement de l'ordre d'application
des textes, puisqu'il soumettait le principe de liberté religieuse contenu dans l'article 5
aux conditions de mise en œuvre posées par les articles 291 et 294 :
« En effet, l'art. 5 de la Charte proclame un principe général, la liberté des
cultes ; mais à quelles règles cette liberté, comme toutes les autres, est-elle assujettie
dans son exercice ? C'est là que commence le domaine de la loi spéciale :
cette loi peut n'entreprendre que faiblement sur la disposition fondamentale,
comme elle peut lui faire subir de graves modifications ; mais quelle qu'elle
soit, elle prend sa place parmi les lois spéciales, secondaires : et c'est assurément
dans cette classe que doivent être rangés les art. 291 et 294 C.pén. Or, il
est de l'essence de ces lois de subsister en présence des déclarations de principes
généraux ; elles ne disparaissent que devant une abrogation explicite ou
devant un système spécial qui s'oppose invinciblement à leur exécution »59.
Generalia specialibus non derogant, l'usage de cette règle de conflit chronologique
de lois d'étendue prétendument inégale, permit à la Cour de cassation de faire
systématiquement obstacle aux effets de l'article 5. Specialia generalibus derogant,
l'efficacité sera la même face à une loi postérieure à la Charte. Dans un cas comme
dans l'autre, il sera tout à fait loisible de neutraliser, ou d'inverser la solution du
conflit normatif. Il suffira au juge soit de prétendre que l'auteur de la loi a entendu
poser, dans la législation constitutionnelle, un principe, et qu'il a, par la voie ordinaire,
déterminé le ou les cas exorbitants du droit commun60. Ou encore, comme le
faisait Dalloz dans son commentaire, d'arguer qu'à travers la loi spéciale, le législateur
avait plus nettement délimité les contours du principe évoqué dans la constitution.
Qu'on se souvienne des mots de Carré de Malberg pour expliquer les raisons
pour lesquelles habitude fut prise au XIXe
siècle de laisser le législateur ordinaire
déterminer librement le statut de libertés publiques que la constitution n'avait fait
qu'ébaucher : « [...] dans la question des droits individuels, écrivait-il, la Législature,
parce qu'elle exprime la volonté générale, est aussi qualifiée qu'une Constituante
pour poser des règles, qui, d'une façon comme de l'autre, sont envisagées comme
des manifestations représentatives de cette volonté souveraine »61. On voit bien ici
que la constitution ne formait pas, aux yeux de la Cour de cassation, une norme pourvue
d'une force obligatoire prioritaire et supérieure ; elle formait tout au plus une loi
générale impropre à déroger à la loi spéciale du Code pénal, dans laquelle le souverain
était censé, par ses représentants ordinaires et permanents, avoir exprimé avec
58. Ibid.
59. Op. cit., p. 216-217.
60. Situés sur le plan du conflit chronologique mais favorables à l'abrogation des articles 291 et s.,
Adolphe CHAUVEAU et Faustin HÉLIE renversaient l'argument : « Le Code pénal ne forme point d'ailleurs
une de ces lois spéciales qui échappent à l'empire des principes généraux, parce qu'elles sont en
dehors du droit commun ; il forme lui-même la loi commune, et il subit toutes les modifications qui affectent
cette loi même », Théorie du Code pénal, 1844, t.3, chapitre XLII, p. 42.
61. La Loi, expression de la volonté générale, p. 109.

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