Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 140 - Les droits du migrant en mer - 264

264
LESDROITSDU MIGRANT EN MER
n'ont pas proposé leur aide, que les rescapés sont encore dans l'incertitude quant au
point de savoir s'ils seront ou non refoulés vers le pays de provenance ou d'origine,
que le capitaine ne peut plus ni pourvoir à leurs besoins essentiels ni reprendre la
navigation au risque d'aggraver l'état de santé des passagers, que l'État côtier pouvait
raisonnablement mettre fin à ces souffrances ne serait-ce qu'en permettant au navire
de stationner dans sa mer territoriale ou ses eaux intérieures pour prodiguer le traitement
approprié aux rescapés, et que la panique, l'angoisse et le sentiment d'injustice
gagnent tous les migrants, le lien de causalité entre le refus de débarquement et l'atteinte
à la dignité des rescapés apparaît plus direct. L'on pourrait considérer que le
refus de l'État considéré a engendré ou aggravé les souffrances des rescapés. Une
fois ce lien de causalité établi, et à supposer qu'elle étende la notion de juridiction
extraterritoriale à un tel refus, la Cour EDH pourrait alors apprécier si le sort des
rescapés dépendait exclusivement de l'État côtier355, ainsi que la réalité et l'immédiateté
des effets ressentis au moment où l'État prit cette décision356. Ainsi et de la même
façon qu'en matière de refoulement direct ou indirect357, la Cour serait en mesure
d'examiner le degré exact de responsabilité de chacun des États ayant refusé le débarquement
vis-à-vis des préjudices subis par le migrant358.
533. Sur la qualification de traitement inhumain ou dégradant, il s'agira de
prouver que le migrant bloqué en mer a été soumis à de vives souffrances physiques
ou mentales (traitement inhumain), ou à un sentiment d'angoisse, d'humiliation, d'infériorité
ou d'injustice suffisamment intense pour emporter une grave atteinte à la
dignité humaine, en tenant compte de la vulnérabilité attachée à la condition de rescapé
(traitement dégradant). Tel serait le cas si le refus de débarquement a poussé le
migrant à tenter de se suicider, à se mutiler ou à se jeter à la mer pour rejoindre les
côtes à la nage dans un geste désespéré. Enfin, la Cour EDH a considéré que des
conditions d'existence extrêmes et conduisant au désespoir pouvaient suffire à constituer
un traitement dégradant si elles étaient associées à la vulnérabilité de l'individu
et à l'incertitude quant à la perspective de voir sa situation s'améliorer359.
534. En vertu de l'article premier de la CEDH, la responsabilité de l'État (du
port ou intervenant, selon les cas) peut également se trouver engagée sur le terrain
des obligations positives dans le cas où il n'aurait pas pris les mesures appropriées
pour protéger une personne relevant de sa juridiction contre un traitement contraire
àl'article 3 de la CEDH. Mais comme toute obligation positive, il est difficile d'envisager
son application à l'égard d'un migrant qui se trouve en dehors de son territoire
(B).
355. CEDH [GC], Bouyid c. Belgique, op. cit., par. 103.
356. CEDH [GC], Gäfgen c. Allemagne, op. cit., par. 91.
357. Infra, nº 671, 682 et s.
358. Ainsi, la Belgique a été condamnée pour avoir transférer un demandeur d'asile en Grèce s'en
s'être assurée de l'effectivité de la procédure d'asile dans ce pays et donc du risque de refoulement vers son
pays d'origine (CEDH [GC], M.S.S. c. Belgique et Grèce, op. cit., par. 359-360 : refoulement dit « indirect
») ; par la suite, la Grèce a été condamnée pour avoir manqué de célérité dans l'examen de la demande
d'asile du migrant transféré sur son territoire dans la mesure où cette défaillance l'a exposé à un risque de
refoulement direct ou indirect vers son pays d'origine (par. 321).
359. Par. 263, ibid.

Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 140 - Les droits du migrant en mer

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 140 - Les droits du migrant en mer