Bibliothèque de droit international et droit de l'Union européenne - Tome 140 - Les droits du migrant en mer - 305

DROIT D'ÉMIGRER ET REFOULEMENT : OBLIGATIONS DE L'ÉTAT
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637. Le droit d'émigrer et de revenir. Il est vrai que le droit d'émigrer ne saurait
profiter à un étranger qui s'est vu opposer un refus d'entrée par le pays de destination
au départ, au cours ou à l'issue de son déplacement ; en d'autres termes, un
contrôle d'immigration met naturellement fin à la jouissance du droit d'émigrer. Il
reste que le migrant doit pouvoir être réacheminé vers le pays de provenance ou
vers son pays d'origine selon les cas, s'il est empêché de poursuivre sa navigation
par l'État de destination ; à défaut, le droit d'émigrer serait totalement illusoire et
l'on méconnaîtrait le cas échéant le droit fondamental pour le national de revenir
dans son pays d'origine. Ainsi, l'article 13 paragraphe 2 de la DUDH ne dissocie
pas l'émigration du retour puisqu'il dispose que « Toute personne a le droit de quitter
toutpays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. ». Par ailleurs, le droit d'émigrer
tel que consacré par le Protocole nº 4 à la CEDH ou le PIDCP n'est aucunement
conditionné à la licéité du voyage, à la régularité de la situation administrative ou à
l'espace dans lequel le migrant se déplace. Sur le principe et au regard du droit d'émigrer,
tout étranger peut donc émigrer de façon spontanée vers les côtes européennes
du moment qu'il n'en a pas été légalement empêché par l'État de départ et par l'État
de destination au préalable. En conséquence, l'État de destination qui empêcherait
délibérément la poursuite de la navigation d'un migrant (par exemple en opposant
un refus de débarquement) sans pour autant organiser son retour agirait, certes,
conformément à son droit souverain de lui refuser l'entrée, mais devrait à notre sens
être tenu de rendre des comptes si le migrant se trouve alors immobilisé pendant une
durée indéterminée dans un espace international ; a fortiori s'il ne peut pas requérir
l'assistance de son pays d'origine en raison des causes qui l'ont conduit à émigrer.
638. Le champ d'application spatial du droit d'émigrer. La Cour EDH a précisé
que « la spécificité du contexte maritime ne saurait aboutir à la consécration
d'un espace de non-droit au sein duquel les individus ne relèveraient d'aucun régime
juridique susceptible de leur accorder lajouissance des droits et garanties prévuspar
la Convention et que les États se sont engagés à reconnaître aux personnes placées
sous leur juridiction66 ». Par ailleurs, les travaux préparatoires du Protocole nº 4 à la
CEDH font état de la volonté des rédacteurs de conférer un large champ d'application
à ce texte67. Du côté du PIDCP, l'affaire SDG contre Italie68, toujours pendante, sera
l'occasion pour le CDH de se positionner sur le champ d'application matériel et spatial
du droit d'émigrer, consacré par l'article 12 paragraphe 2 du Pacte et dont la violation
a été alléguée par les requérants69. Les faits concernent la coordination, par le
MRCC de Rome, d'une opération de sauvetage de migrants dans la zone SAR
libyenne, à l'issue de laquelle les rescapés ont été renvoyés en Libye par le navire
marchand qui leur a prêté secours ; il est reproché à l'Italie, par le biais de son
MRCC et de l'aide logistique, financière et matérielle apportée au gouvernement
libyen, d'avoir contribué à éloigner les rescapés de ses côtes sans égard pour leur
besoin de protection internationale ou humanitaire. Nul doute toutefois que l'exercice
par l'Italie de sa juridiction sur les migrants, qui conditionne la recevabilité de la
requête conformément à l'article 2 paragraphe 1 du PIDCP, sera difficile à établir,
leur retour forcé ayant manifestement été opéré sous le contrôle exclusif et absolu
des autorités libyennes.
66. CEDH [GC], Hirsi Jamaa et autres c. Italie, op. cit., par. 178.
67. Rapport explicatif du Protocole nº 4 à la CEDH, par. 11, al. 2, p. 6.
68. Pour un résumé des faits : supra, nº 500.
69. CDH, SDG c. Italie, op. cit. par. 96 et par. 100.

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