Bibliothèque de droit public - Tome 333 - Nouvelles recherches sur la condition juridique des établissements publics - 154

154 NOUVELLES RECHERCHES SUR LA CONDITION JURIDIQUE DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS
échapper un ensemble de biens de la communauté politique au principe de non-affectation
des ressources publiques, aurait notamment eu pour première vertu d'encourager les
donset legsdes membresd'une communauté, car elle leur garantirait que les biens donnés
ou légués seront utilisés conformément à la destination de l'établissement. Cette opinion
apparaît explicitement sous la plume de Jacques Chevallier : « Le procédé de l'établissement
public a connu d'emblée plusieurs terrains de prédilection. D'abord, il a été
utilisé pour les services qu'il était souhaitable de faire bénéficier des libéralités de personnes
privées. Le statut d'établissement public permet en effet d'attirer les libéralités
parce que le donateur sait que sa donation sera bien affectée au service et n'ira pas se
noyer dans le budget général de l'État ou d'une collectivité locale : les services d'assistance
et les services culturels ont été personnalisés pour ce motif»43.
La forme juridique de l'établissement public a également été plusieurs fois utilisée
pour créer des caisses d'amortissement. En affectant un ensemble d'actifs au paiement
d'une dette, auquel pouvait s'ajoutait le réemploi des intérêts, on cherche à garantir que
ces actifs ne seront pas détournés de leur vocation à rembourser les dettes et pourront
ainsi, non seulement permettre un remboursement de la dette à plus ou moins brève
échéance, mais également rassurer les investisseurs et continuer à emprunter. C'est du
moins l'un des motifs mentionnés par les défenseurs de ce type de structure. Raymond
Poincaré, alors président du conseil et ministre des finances, défendit de cette manière la
nécessité de préserver l'affectation des recettes de la caisse autonome de gestion des
bons de la défense nationale : « La caisse ne pourra avoir d'efficacité réelle que si son
autonomie et sa dotation ne sont pas à la merci des événements futurs, et si un minimum
de recettes - vous m'entendez je dis seulement un minimum - et une large indépendance
de gestion lui sont sérieusement garantis »44.
240. Cependant, la prudence et le recul historique imposent de nuancer cette
assurance. La destination des biens composant un établissement public n'est garantie
que vis-à-vis de l'action des autorités administratives et des particuliers. L'autorité
politique est toujours susceptible de réaffecter ces biens à une autre fin. Son intervention
pour la création de nombreux anciens établissements publics a d'ailleurs été
déterminée en raison même de la nécessité d'aller à l'encontre de la volonté des donateurs
ou des fondateurs, car elle seule était à même de déroger au principe de l'intangibilité
de la volonté des disposants45. Face à l'action de l'autorité politique, il est
effectivement difficile d'avoir des garanties certaines. L'affectation seule n'est pas
une garantie suffisante pour que les biens ne soient pas détournés de leur destination
initiale. C'est ce que William Gilles remarque dans sa thèse consacrée à l'étude des
transformations du principe de l'unité budgétaire au sujet des caisses d'amortissement
: « par le passé les gouvernants ont souvent détourné les caisses d'amortissement
de leur objet au bout d'un certain temps »46.
L'exemple du Fonds de solidarité vieillesse est également remarquable. Ce fonds
a été créé par la loi du 22juillet 1993 relative aux pensions de retraite et à la
43. Jacques Chevallier, « La place de l'établissement public en droit administratif français »,
art. préc., pp. 5-6.
44. Ch. des députés, deuxième séance du 5 août 1926, JORF, Déb. parl., p. 3181.
45. Voyez sur ce point infra, nº 110, ainsi que Jean Imbert, Le droit hospitalier de l'ancien régime,
op. cit., pp. 94 et s.
46. William Gilles, Les transformations du principe de l'unité budgétaire dans le système financier
public contemporain, Dalloz, « Bibl. parlementaire et constitutionnelle », Paris, 2007, p. 112.
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