Bibliothèque de droit public - Tome 333 - Nouvelles recherches sur la condition juridique des établissements publics - 276

276 NOUVELLES RECHERCHES SUR LA CONDITION JURIDIQUE DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS
personnes morales : « Si la capacité est absolue pour les personnes physiques, sauf en
cas d'incapacité prévue par la loi - les majeurs protégés et les mineurs non émancipés
-, elle est limitée pour les personnes morales, en vertu du principe de spécialité qui les
régit, à raison de l'objet pour lequel elles ont été constituées »68.
454. En droit des sociétés, l'efficacité du principe de spécialité est garantie
notamment par le « refus d'un objet social universel ». Ce refus est justifié par la spécialité
statutaire et par le contrôle des associés69. En conséquence de l'importance de
la spécification de l'objet social pour permettre le contrôle des associés sur la gestion
de la société, ces derniers doivent apporter un soin particulier à la rédaction des statuts.
En effet, comme le relève Renaud Mortier à propos d'une société civile immobilière,
« la clause d'objet social délimite les pouvoirs du gérant vis-à-vis des tiers,
puisque s'applique dans les sociétés civiles le fameux principe de spécialité, selon
lequel ''dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes
entrant dans l'objet social'' (C. civ., art. 1849, al. 1er
) »70. Une mauvaise rédaction
risque d'entraîner des conséquences importantes. En effet, l'ambiguïté d'une clause
d'objet social d'une société rend malaisée l'identification de l'étendue des pouvoirs
de ses gérants et est susceptible d'entraîner des conflits entre les gérants et les associés.
Une telle ambiguïté rend en effet son interprétation incertaine. Ainsi, par exemple,
la cour d'appel de Paris et la Cour de cassation ont interprété dans deux sens
opposés la clause d'objet social d'une société civile immobilière rédigée de la manière
suivante : « la propriété de tous biens immobiliers situés en France, ainsi que toutes
opérations mobilières ou immobilières susceptibles d'en favoriser le développement
immobilier ». La cour d'appel a en effet estimé que la rédaction de ladite clause
implique, pour lui être conforme, que la vente d'un immeuble « doit être susceptible
de favoriser le développement de la propriété de biens immobiliers ». Relevant qu'aucun
élément ne démontrait que l'opération en cause était « de nature à favoriser le
développement de la société », notamment parce qu'aucun projet de réinvestissement
immobilier n'était présenté, la cour d'appel a estimé que la promesse de vente de
l'immeuble constituant le seul actif de la société par l'un de ses co-gérants, n'entrait
pas dans le champ de son objet social et devait par conséquent être déclarée nulle. La
Cour de cassation, en revanche, a rejeté le recours des associés de la société civile
immobilière contre la promesse de vente, en jugeant que cet acte participait bien de
l'objet social71. Elle a estimé que la promesse de vente était « par elle-même susceptible
de favoriser le développement de la société », autrement dit qu'elle présumait, à
l'inverse de la cour d'appel, le réemploi du produit de la vente dans des investissements
immobiliers72.
68. François Pillet, Rapport sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance nº 2016-131 du 10 février 2016
portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, nº 22, Doc. parl. S.,
octobre 2017, p. 52.
69. Raphaëlle Besnard-Goudet, « Objet social. Notion et influence sur la condition juridique de la
société », fasc. 9-20, LexisNexis : « Le contrôle suppose que les pouvoirs de direction soient limités, et les
associés seraient dépossédés de leurs fonctions de « contrôleur » si les « contrôlaires » pouvaient à leur
guise, supprimer ou créer des activités sociales. Enfin, pour la doctrine moderne, l'interdiction d'un objet
universel serait justifiée par le principe de la spécialité statutaire ».
70. Renaud Mortier, « Pouvoirs du gérant : mise en œuvre du principe de spécialité », Droit des
sociétés, nº 7, Juillet 2008, comm. 149.
71. Cass. com., 26 févr. 2008, F-D, SCI AJT c/Girot de Langlade, nº 06-21744 et nº 06-22151, non
publiés.
72. Voyez les explications de Renaud Mortier, « Pouvoirs du gérant : mise en œuvre du principe de
spécialité », art. préc.

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