Bibliothèque de droit public - Tome 333 - Nouvelles recherches sur la condition juridique des établissements publics - 94

94 NOUVELLES RECHERCHES SUR LA CONDITION JURIDIQUE DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS
138. Il est surprenant de voir des auteurs critiquer la réalité au nom d'une
conception a priori sans que le décalage entre leur manière de voir et la réalité juridique
les pousse à réviser leur croyance23. Le refus de dépasser l'affirmation classique
selon laquelle les établissements publics sont des « services publics personnalisés »
masque une autre perspective plus féconde. La diversité matérielle des objets statutaires
des établissements publics indique en effet que les établissements publics sont
susceptibles de prendre en charge tout type d'activité.
2. La diversité illimitée des activités des établissements publics
139. Les classifications réalisées à partir du critère de l'activité prise en charge et
les observations de la réalité juridique révèlent la diversité des missions assurées par les
établissements publics et amènent à penser qu'il n'ya pas d'activité devant par nature
être conduite sous la forme d'un établissement public. La nature des problèmes élevés
en affaires publiques, pour la résolution desquelles l'autorité politique forme un établissement
public, n'est pas déterminable apriori.Elle dépend d'un mouvement de flux et
de reflux, fonction de la situation et de l'habileté de l'État à imposer son autorité24.Le
secteur d'activité dans lequel l'État intervient n'est pas identifiable avant la survenance
de la situation : « Il n'y a pas de ligne claire et nette qui indiquerait, au-delà de l'incertitude,
[...], où l'intérêt du public apparaîtrait de manière si significative qu'il devrait
être pris en charge et administré par des agences spéciales ou par des agents publics.
Aussi, il y a souvent de la place pour de la dispute. La ligne de démarcation entre les
actions laissées à l'initiative et à la gestion privées et celles réglementées par l'État doit
être découverte de manière expérimentale. [...] Supposer qu'une conception apriori de
la nature intrinsèque et des limites de la sphère individuelle d'un côté et de la sphère
étatique de l'autre produira de bons résultats est absurde »25.
140. Àl'inverse de cette idée, Roland Drago a fait de la diversité des activités
prises en charge par un établissement public un des éléments qui caractérisent selon
lui les « crises de la notion d'établissement public »26. Il résume l'évolution des établissements
publics sous trois formes se rapportant chacune à une certaine conception
23. Étienne Fatôme, « Établissement public et service public », op. cit. : « Il n'est pas douteux que,
pour la plupart des auteurs, cette dissociation possible entre établissement public et service public constitue,
même dans le cadre de la nouvelle définition de l'établissement public, une anomalie. [...] que des entreprises
du secteur national qui ne gèrent pas un service public, comme les Charbonnages ou l'Entreprise
minière chimique, aient été qualifiées d'établissements publics peut surprendre davantage ».
24. Sur l'absence de détermination a priori du contenu des affaires publiques, voyez les développements
de Jean-Louis Vullierme, Le concept de système politique, op. cit., p. 154 et s. : « que le champ du
politique, celui des affaires spécifiquement communautaires, en vue de quoi la politique trouve à s'exercer,
n'est pas universellement déterminé quant à son contenu. [...] L'une des méprises les plus fréquemment
commises et les plus graves pour la pensée politique consiste précisément à fixer le contenu du domaine
de façon essentialiste ou substantielle, alors qu'il n'existe pour ainsi dire aucune question qui n'ait alternativement
été tenue pour politique ou pour non politique au cours de l'histoire. Nous devons écarter a priori
toute théorie générale des fonctions substantielles du politique, car les tâches assignées à la communauté
politique relèvent du processus politique lui-même et de ses déterminations systémiques ».
25. Ma traduction de John Dewey, The public and its problems, op. cit., p. 64 : « There is no sharp
and clear line which draws itself, pointing out beyond peradventure, just where a public come into existence
which has interests so significant that they must be looked after and administered by special agencies,
or governmental officers. Hence there is often room for dispute. The line of demarcation between actions
left to private initiative and management and those regulated by the state has to be discovered experimentally
». [...] « To suppose that an a priori conception of the intrinsic nature and limits of the individual on
one side and the state on the other will yield good results once for all is absurd ».
26. Roland Drago, Les crises de la notion d'établissement public, op. cit.
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