Bibliothèque de droit public - Tome 333 - Nouvelles recherches sur la condition juridique des établissements publics - 98

98 NOUVELLES RECHERCHES SUR LA CONDITION JURIDIQUE DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS
dans un devenir physique. La formation des établissements publics s'intègre ainsi
dans la dynamique de l'État par laquelle il affirme son existence40. Le recours à la
forme de l'établissement public apparaît alors comme un moyen pour la communauté
politique d'affirmer son existence et d'assurer sa conservation dans un environnement
en constante mutation.
147. C'est à partir de cette observation qu'une distinction entre les différentes
personnes morales publiques, différente de celle reposant sur le couple général - spécial,
a été formulée. La spécialité n'a en effet pas toujours été au centre de l'identification
des établissements publics41. Au XIXe
siècle, d'autres critères, comme ceux de
la durée et de la nécessité, étaient utilisés pour définir les établissements publics.
D'une part, les personnes morales à base territoriale étaient présentées comme des
institutions permanentes et nécessaires, devant prendre en charge l'intérêt d'une communauté
politique qui se maintient dans le temps : « La commune n'est pas une création
de la loi ; elle est née de la nature des choses »42.D'autre part, les établissements
publics étaient caractérisés par leur contingence : « [les établissements publics] ne
sont pas des établissements nécessaires, mais plus ou moins utiles ». Leur utilité est
« passagère » et « conditionnelle »43.
L'existence des établissements publics est donc contingente pour deux raisons
principales. Elle dépend, d'une part, de l'évolution des relations sociales et de la
concurrence des visions sur le bien commun et, d'autre part, de la nécessité de l'autorité
politique de s'adapter à la situation présente44. Elle doit pour cette dernière raison
tenir compte des circonstances de son action.
2. Une décision circonstanciée
148. Les établissements publics appartiennent au domaine du politique, lequel
n'est pas réductible à un schéma normatif. L'ambition de vouloir soumettre intégralement
le développement des établissements publics au principe de légalité est irréaliste
40. Paul Kahn, Politicial theology, op. cit.,p. 52 : « L'État n'est pas un objet ou une règle ; c'est un
pouvoir qui fait continuellement l'histoire dans un sens plutôt qu'un autre. Il requiert de l'énergie - dynamique
au sens classique. Il doit continuellement affirmer sa manière d'être. En l'absence de cette volonté, il
pourrait se trouver simplement balayé par d'autres organisations politiques qui s'affirment au même
moment et à la même époque ». Ma traduction : « The state is not a thing or a rule ; it is a power that is
continually making history on a way rather than another. It requires energy - dynamis in the classical
sense. It must continually will itselfinto being. Absent that will, it mayfind itselfsimply brushed aside by
other political organizations that assert themselves in the same space and time ».
41. Léon Michoud ne réserve pas le principe de spécialité aux seuls établissements publics, mais le
présente comme un principe cardinal de toutes personnes morales y compris de l'État et des communes, La
théorie de la personnalité morale [...], t. 2, p. 151 et s.
42. Alexis de Tocqueville, cité par Tiphaine Rombauts-Chabrol, L'intérêtpublic local, Dalloz, « Thèmes
& commentaires », Paris, 2016, p. 8.
43. MM. Albin Le Rat de Magnitot et Huard-Delamarre, Dictionnaire de droitpublic et administratif,
op. cit., Vº Établissement public : « [...] Entre les établissements publics et les communes. [...] De notables
différences les séparent. Ce ne sont pas des établissements nécessaires, mais plus ou moins utiles. L'utilité
d'un établissement public peut même être conditionnelle, passagère, indéfinie, comme des hospices d'enfants
trouvés, des établissements religieux, des hôpitaux extraordinaires ; et par conséquent sa durée est
plus incertaine et plus indéterminée que celle de la commune ».
44. Herbert Krüger, cité par Olivier Beaud, Lapuissance de l'État, op. cit., p. 146-147 : « La situation
concrète, face à laquelle se trouve un peuple, est toujours changeante et ces changements sont eux-mêmes
entièrement incalculables et imprévisibles. Il en résulte la nécessité de comprendre et percevoir l'État de
manière qu'il soit capable, à tout moment et dans n'importe quelles circonstances de prendre les mesures
qui doivent être prises pour affronter la situation ».

Bibliothèque de droit public - Tome 333 - Nouvelles recherches sur la condition juridique des établissements publics

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit public - Tome 333 - Nouvelles recherches sur la condition juridique des établissements publics