Bibliothèque de droit public - Tome 336 - Contribution à une théorie juridique des biens communs - 45

Titre I
L'ÉMERGENCE HISTORIQUE DES BIENS
COMMUNS
59. L'étudehistoriqueest une étapenécessairepour laconstitution d'une théorie
juridique des biens communs. Ainsi que l'écrivait Jean-Baptiste-Victor Proudhon, « un
droit n'est jamais mieux connu que lorsqu'on l'aperçoit dès son origine »1. La recherche
historique offre à voir dans le passé, des évènements ou des constructions de nature à
enrichir le processus d'émergence d'une notion nouvelle, telle que les biens communs2.
Il ne s'agit pas de porter un regard contemplatif sur un passé révolu, parfois effacé de la
mémoire juridique. L'analyse consiste avant tout à mettre en lumière l'existence de
modèles de propriété, à certains égards précurseurs, qui ont préfiguré les biens communs.
Ces derniers, qui se distinguent du modèle du droit de propriété actuel, présentent un
intérêt remarquable quant à l'accès aux utilités collectives. Parallèlement, l'étude historique
met en évidence les origines et les évolutions qui ont participé à l'édification du
modèle moderne du droit de propriété. Désigner par un même mot, celui de propriété,
des formes diverses, voire opposées de maîtrise foncière qui existent depuis près de deux
mille ans, tel est le grand paradoxe du droit des biens.
60. Dans le cadre de cette étude historique, toutes les sources n'ont pu être systématiquement
dépouillées ainsi que le feraient les historiens du droit. L'analyse porte
principalement sur les travaux plus ou moins anciens des juristes, historiens, économistes
et théologiens. Les ressources mobilisées les plus datées étant parfois en latin,
une traduction de celles-ci a parfois dû être réalisée par nos soins. Des enquêtes de
terrain ont également été menées pour compléter l'analyse. Pour être fidèle, l'étude de
chaque modèle du droit de propriété, qui participe à l'émergence historique de la
notion de biens communs, a dû être resituée dans le contexte qui lui est propre3.Il
est donc apparu nécessaire de veiller à ce que l'analyse ne soit pas dénaturée par une
vision strictement positiviste.
1. J.-B.-V. PROUDHON, Traité du domaine public, ou de la distinction des biens considérés principalement
par rapport au domaine public, t. 1, Dijon, Victor Lagier, 1833, p. 370.
2. M. FOUCAULT, « Nietzsche, la généalogie de l'histoire » in S. BACHELARD,G. CANGUILHEM,
F. DADOGNET (dir.), Hommage à Jean Hyppolite, Paris, PUF, 1971, p. 150 : La recherche généalogique des
concepts « ne sera donc jamais partir à la quête de leur " origine " , en négligeant comme inaccessibles tous
les épisodes de l'histoire ; ce sera au contraire s'attarder aux méticulosités et aux hasards des commencements
».
3. En ce sens, P. OURLIAC,J. DEMALAFOSSE, Histoire du droit privé. Les biens, t. 2, Paris, PUF, éd. 2,
1971, p. 9 : « Le droit des biens est un bon exemple de l'impossibilité de suivre l'évolution d'une technique
sans la replacer dans son contexte économique, politique et social. La ségrégation des genres est aussi
funeste que les cloisonnements chronologiques ».

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