Bibliothèque de droit public - Tome 336 - Contribution à une théorie juridique des biens communs - 66

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CONTRIBUTION À UNE THÉORIE JURIDIQUE DES BIENS COMMUNS
détail le concept d'état de nécessité, mais de l'appréhender en tant que survivance
d'un droit d'accès utile avec le vol alimentaire97. Si le Code civil n'a pas ignoré
dans son orientation générale la notion de besoin98, le Code pénal de 1810 ne contenait
aucune disposition visant expressément l'état de nécessité. C'est sur les fondements
juridiques de la contrainte morale99
et de l'absence d'intention coupable100
que les juges ont consacré cette notion. À bien des égards, le juge qui considère
qu'il lui revient « d'interpréter humainement les inflexibles prescriptions de la
loi »101 semble ici rendre sa décision en termes d'équité. En ce sens, pour le doyen
Carbonnier, « l'explication la plus plausible de cette immunité est que le droit prend
en considération le rapport de fait existant entre l'homme dans le besoin et la chose
dont il a besoin et transforme ce rapport de fait en rapport juridique. De l'extrême
nécessité naît un droit sur le superflu d'autrui »102.C'est à l'article 122-7 du Code
pénal de 1994103 qu'est consacré indirectement l'état de nécessité104.S'il n'existe
pas de définition législative de l'état de nécessité, le juge a été amené à le définir
comme « la situation dans laquelle se trouve une personne qui, pour sauvegarder un
intérêt supérieur, n'ad'autre ressource que d'accomplir un acte défendu par la loi
pénale »105. Toutefois, la réalité du nouvel article du Code pénal, même enrichi de
son commentaire par la circulaire du 14 mai 1993 présentant les dispositions du nouveau
Code pénal, reste très incertaine. Alors que de strictes conditions constitutives de
l'état de nécessité ont été identifiées, il reste difficile de préjuger par avance de la
97. Pour aller plus loin sur la notion générale d'état de nécessité, J.-P. DOUCET, « La nature juridique
de l'état de nécessité » in Mélanges en l'honneur de Jerry Sainte-Rose, Bruxelles, Bruylant, 2012,
pp. 413-430 ; J. ‑Y. CHEVALLIER,« L'état de nécessité » in Mélanges en l'honneur du doyen Pierre Bouzat,
Paris, A. Pedone, 1980, pp. 117-134. V. également B. BALLOUHEY-MCQUEEN, La notion d'état de nécessité
en droit pénal et en droit civil, thèse, Paris I, 1997.
98. Dans le discours préliminaire du premier projet de Code civil, il est ainsi écrit que « l'homme naît
avec des besoins ; il faut qu'il puisse se nourrir et se vêtir : il a donc droit aux choses nécessaires à sa
subsistance et à son entretien. Voilà l'origine de la propriété » (J.-E.-M. PORTALIS, F.-D. TRONCHET,
F.-J.-J. BIGOT DEPRÉAMENEU,J. DEMALEVILLE, Motifs et discours prononcés lors de la publication du Code
civil par les divers orateurs du Conseil d'État et du Tribunat, Paris, Firmin Didot Frères, 1838, p. 22).
Cependant, les cas dans lesquels la nécessité justifie une atteinte à la propriété sont rares. Pour un aperçu
de ces cas, P.-J. HESSE, « Un droit fondamental vieux de 3 000 ans : l'état de nécessité. Jalons pour une
histoire de la notion », Droits fondamentaux, 2002, nº 2, p. 134.
99. Sur le fondement de l'art. 64 du Code pénal de 1810, aux termes duquel « il n'y a ni crime ni
délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une
force à laquelle il n'a pu résister » ; celui qui n'ad'autre alternative que de commettre une infraction ou de
compromettre un intérêt supérieur auquel il est attaché est réputé avoir perdu son pouvoir de décision. Pour
un aperçu des jugements rendus sur ce fondement, CA Paris, 5janv. 1945 : S., 1945, II, nº 81, p. 2, note
P. BOUZAT; T. corr. Dijon, 27 févr. 1968 : D., 1968, p. 738, note P. BOUZAT.
100. Sur le fondement de l'art. 379 du Code pénal de 1810, aux termes duquel « quiconque a soustrait
frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas est coupable de vol ». Celui qui agit sous l'empire
de la nécessité n'a pas d'intention coupable. Pour un aperçu des jugements rendus sur ce fondement, CA
d'Amiens, 22 avr. 1898, Dlle Ménard : D., 1899, II, nº 329, note L. JOSSERAND ; T. corr. Cherbourg, 6 févr.
1945 : S., 1945, II, nº 81, note P. BOUZAT; CA Colmar, 6 déc. 1957, Regina : D., 1958, p. 357, note
P. BOUZAT; GADPG, éd. 12, 2021, nº 24, p. 415, obs. A. VARINARD.
101. CA d'Amiens, 22 avr. 1898, Dlle Ménard : préc.
102. J. CARBONNIER, Droit civil. Les biens, les obligations, t. 2, Paris, PUF, 2004, p. 1732.
103. C. pén., art. 122-7 : « N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel
ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la
personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».
104. Circulaire du 14 mai 1993 relative au commentaire des dispositions de la partie législative du
nouveau Code pénal..., art. 37 : « L'article 122-7 consacre et systématise la jurisprudence relative à l'état de
nécessité qui a été élaborée depuis de nombreuses années ».
105. CA Colmar, 6 déc. 1957, Regina : préc.
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