Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 169 - Le Conseil constitutionnel et la commande publique - 254

254
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LA COMMANDE PUBLIQUE
433. La fixation d'une durée maximale peut être considérée comme le vecteur
de nombreux bénéfices pour la liberté contractuelle. Elle offre d'abord aux personnes
publiques l'assurance d'une possibilité de sortir du contrat. Au cours de l'exécution
de contrats de longue durée tels que les délégations, les personnes publiques peuvent
voir leurs besoins évoluer. Or, s'il leur est toujours loisible de se désengager d'obligations
contractuelles, une résiliation anticipée du contrat peut s'avérer onéreuse et
complexe. L'existence d'un terme offre donc aux parties une occasion de sortie du
contrat sûre et simple. Elle permet ensuite aux personnes publiques de s'assurer que
les missions confiées à leurs cocontractants seront exécutées au mieux. L'arrivée de
l'échéance du contrat est l'occasion de dresser un bilan de l'exécution ce qui permet
d'ajuster les termes de l'engagement futur ou d'en redéfinir les objectifs. A contrario,
faute de durée préétablie, les personnes publiques demeureraient liées à leurs cocontractants
qui pourraient être tentés de diminuer la qualité de leur prestation, assurés
que leur contrat se prolongera. Cet argument était évoqué par les sénateurs dans leur
rapport sur le projet de loi Sapin. Ils indiquaient que le principe de l'interdiction des
délégations de service public illimitées ou à durée indéterminée était souhaitable pour
éviter des situations d'abus, dans lesquelles certaines entreprises délégataires « bénéficient
de véritables rentes de situations »63. Comme le résume le Professeur Marion
Ubaud-Bergeron, l'intérêt d'une échéance est d'« éviter des engagements qui, par leur
durée excessive, peuvent confiner à des situations acquises et perpétuelles : qu'il
s'agisse d'occuper le domaine public ou d'exploiter un service public, aucun contrat
ne peut avoir pour effet de placer le cocontractant dans une situation irrévocable »64.
Enfin, l'existence d'un terme aux contrats de la commande publique protège la liberté
contractuelle des opérateurs économiques. La remise en concurrence fréquente permet
d'assurer l'égal accès aux contrats et offre une chance aux candidats évincés de remporter
le marché dans un avenir proche. Toutes ces raisons expliquent qu'un tel encadrement
était appelé de ses vœux par l'ensemble des observateurs de la matière.
434. Le fait que le juge constitutionnel reconnaisse au pouvoir législatif la
faculté de limiter la durée des engagements peut être également compris comme une
absence d'inconstitutionnalité des contrats à durée indéterminée. En effet, dans la
solution d'espèce, le juge admet la constitutionnalité de la limite au motif qu'elle est
justifiée par d'autres objectifs que le législateur s'est fixés mais il n'indique à aucun
moment que les engagements de longue durée sont interdits. Le Conseil précisera
d'ailleurs quelques années plus tard que le principe de prohibition des engagements
perpétuels n'empêche pas de conclure des contrats à durée indéterminée tant que les
stipulations permettent aux parties de s'en libérer de façon unilatérale lorsqu'elles le
souhaitent65. La liberté contractuelle prime donc, même si elle peut être dans certains
cas encadrée afin de protéger d'autres pans de cette même liberté, comme la faculté de
se dégager de ses obligations. Cette solution affirme donc que les parties sont par
principe libres de déterminer la durée du contrat qui le lie mais que le législateur
peut par exception encadrer cette liberté.
63. Chr. Bonnet, Rapport au Sénat fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles (...) sur
le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale après déclaratif d'urgence, relatif à la prévention de la
corruption et à la transparence de la vie économique (...), annexe au procès-verbal de la séance du
25 nov. 1992, spéc. p. 89.
64. M. Ubaud-Bergeron, Droit des contrats administratifs, op. cit., spéc. § 585, p. 311.
65. Cons. const., 9 nov. 1999, déc. nº 99-419 DC, Loi relative au pacte civil de solidarité, JORF,
16 nov. 1999, p. 16962, Rec., p. 116.

Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 169 - Le Conseil constitutionnel et la commande publique

Table des matières de la publication Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 169 - Le Conseil constitutionnel et la commande publique