Bibliothèque des sciences criminelles - Tome 76 - La question du cumul de déclarations de culpabilité en droit pénal interne et en droit international pénal - 442

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LA QUESTION DU CUMUL DE DÉCLARATIONS DE CULPABILITÉ EN DROIT PÉNAL
« de sefaire servir des carburants [...] par desprofessionnels de la distribution »141 et
avait constaté que « la doctrine pénaliste qui s'est exprimée sur la question est unanime
pour considérer que lefait de se servir en carburantpuis de ne pouvoir le payer
à la caisse est constitutifd'un vol et non d'unefilouterie. L'argumentprincipal mis en
avant est la clarté des termes de l'article 313-5 du Code pénal, qui fait obstacle, en
vertu du principe d'interprétation stricte de la loi pénale, à ce que le fait de se servir
soi-même soit assimilé aufait de se faire servir par un professionnel »142.
La solution préconisée par la doctrine et adoptée par la Cour de cassation nous
paraît discutable. En effet, le principe d'interprétation stricte de la loi pénale n'impose
pas une application littérale des textes et n'interdit pas de recourir à la méthode
d'interprétation téléologique, surtout lorsqu'une incrimination relativement ancienne
paraît susceptible de s'appliquer à une situation de fait nouvelle, apparue à la suite
d'une innovation technologique que le législateur ne pouvait anticiper, ce qui était
précisément le cas en l'espèce : les stations de distribution de carburant en libre-service
n'existaient pas lorsque le législateur de 1966 est intervenu pour incriminer la
filouterie de carburant143. En outre, l'interprétation téléologique, suivant laquelle le
fait de se servir soi-même en carburant tout en se sachant dans l'impossibilité absolue
de payer ou tout en étant déterminé à ne pas payer entre dans le champ d'application
de l'incrimination de la filouterie de carburant, paraît conforme à l'objectif d'incrimination
du texte, qui est de protéger les professionnels de la distribution de carburant.
Si l'on admet que l'incrimination du vol est elle aussi potentiellement applicable
au fait de se servir en carburants et de quitter les lieux sans payer, un conflit d'incriminations
existe dès lors qu'il est clair que le législateur n'a pas incriminé la filouterie
pour redoubler la répression du vol, mais pour remédier à un vide répressif. Cependant,
il y a lieu de faire exception au critère général selon lequel, en principe, l'incrimination
complémentaire ne doit s'appliquer qu'à titre subsidiaire. En effet, il ne
paraît pas justifié de traiter différemment le fait de se faire servir et le fait de se servir
soi-même en carburant dès lors que, comme le conseiller rapporteur l'avait fait remarquer
à juste titre, l'intention frauduleuse de ne pas acquitter le prix de l'essence et le
préjudice subi par la victime sont identiques dans l'un et l'autre cas144. Or, la filouterie
de carburant est punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende,
alors que le vol est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
Par conséquent, il paraît préférable, afin de prévenir tout risque de contrariété avec le
principe constitutionnel d'égalité devant la loi pénale et afin de garantir la cohérence
de la politique d'incrimination145,d'appliquer la même incrimination au fait de se
faire servir et au fait de se servir soi-même en carburant. Le conflit devrait donc être
résolu en faisant prévaloir non pas l'incrimination principale du vol, mais
141. Code pénal, art. 313-5, 3º.
142. V. Rapport de Mme LABROUSSE, Conseiller référendaire rapporteur, et les références doctrinales
citées.
143. Cette piste de réflexion était d'ailleurs suggérée par le conseiller rapporteur qui rappelait ainsi
que le champ d'application de l'incrimination de la diffamation publique n'avait pas été limité aux médias
existant à l'époque de l'élaboration de la loi du 29juillet 1881 sur la liberté de la presse, mais étendu par la
jurisprudence à tout moyen de reproduction et de publication, quel que soit le procédé technique utilisé.
144. Rapport de Mme LABROUSSE, précité.
145. Dans le même sens, M.-L. RASSAT, Droit pénal spécial, Dalloz, Précis, 2018, p. 277 : le délit de
filouterie n'est pas constitué « en cas de fourniture en libre-service qui constitue un vol banal, donc plus
sévèrement puni. La distinction vol/filouterie, très claire juridiquement, n'est peut-être pas cependantjustifiée,
du point de vue de la politique pénale, compte tenu des différences de pénalités qu'elle implique ».

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