Bibliothèque des sciences criminelles - Tome 76 - La question du cumul de déclarations de culpabilité en droit pénal interne et en droit international pénal - 558

558
LA QUESTION DU CUMUL DE DÉCLARATIONS DE CULPABILITÉ EN DROIT PÉNAL
absorbé par celui de la diffamation et ne peut être relevé seul »121. Elle applique cette
solution au motif que, lorsque la diffamation et l'injure sont « indivisibles », le cumul
des chefs de diffamation et d'injure créerait « une incertitude dans l'esprit des prévenus
quant à l'objet de la poursuite »122. La chambre criminelle juge également qu'en
cas d'indivisibilité entre une injure et une diffamation, une poursuite uniquement pour
injure est impossible123.
Cette solution ne paraît pas justifiée. En effet, la diffamation et l'injure sont
constituées par des comportements essentiellement différents : la diffamation publique
est constituée par la publication d'une phrase imputant à une personne un fait précis
de nature à porter atteinte à sa considération124, tandis que l'injure publique est
constituée par la publication d'un terme ou d'une expression de nature insultante ou
outrageante125. Ces comportements sont d'ailleurs si différents qu'il ne serait pas
concevable d'étendre à l'injure les faits justificatifs qui sont applicables à la diffamation
: si l'exceptio veritatis, la bonne foi et le respect dû à la liberté d'expression
garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme peuvent
justifier la diffamation, ils ne peuvent en aucun cas justifier l'injure. Par conséquent, il
n'importe que l'expression injurieuse et l'imputation diffamatoire soient « indivisibles
». Dès lors que, d'un point de vue général, l'on peut diffamer une personne
sans l'injurier pour autant126 et réciproquement, le cumul de déclarations de culpabilité
est nécessaire afin de rendre pleinement compte du comportement délictueux de
l'auteur. Il devrait donc être autorisé.
M. BIGOT justifie la solution jurisprudentielle en affirmant que «L'injure et la
diffamation sont deux infractions qui sont radicalement incompatibles entre elles
pour une raison qui tient du texte même de l'article 29 de la loi du 29juillet
1881 »127, car cette disposition définit l'injure comme une expression « qui ne comporte
l'imputation d'aucunfait »128. Cet argument ne paraît pas très convaincant. Ce
n'est pas parce qu'une infraction est définie négativement par rapport à une autre que
l'agent ne peut pas les commettre concomitamment. L'injure ne renferme aucune diffamation,
soit. Mais de ce que la diffamation n'est pas dans l'injure, il ne s'ensuit pas
que l'agent ne peut pas les combiner. Pour preuve : la question du cumul se pose
121. Cass. crim., 2 oct. 2012, nº 12-84932, Bull. crim. nº 203 ; 23juin 2009, nº 08-88016, Bull. crim.
nº 133, JCP 2009, nº 46, obs. DREYER ; 24janv. 1995, nº 93-84701, Bull. crim. nº 33 ; 18janv. 1994, nº 9280717,
Inédit ; 18janv. 1994, nº 92-80717, Inédit ; 7 nov. 1989, Bull. crim. nº 403 ; 2 mai 1972, Bull. crim.
nº 149 ; 9 mars 1965, Bull. crim. nº 70 ; 16 mars 1961, Bull. crim. nº 171 ; 12juin 1956, Bull. crim. nº 458 ;
3 mai 1956, Bull. crim. nº 344.
122. Cass. crim., 16janv. 1990, nº 89-81349, Bull. crim. nº 26.
123. Cass. crim., 2 oct. 2012, nº 12-84932, Bull. crim. nº 203, D. 2013 pan. p. 457, obs. DREYER.
124. L. 29 juill. 1881, art. 29, al. 1er
: « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à
l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel lefait est imputé est une diffamation ».
Cass. crim., 13 avr. 2010, nº 09-82389, Bull. crim. nº 70 ; 26janv. 2016, nº 14-87039, Inédit : «pour constituer
une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la
victime doit se présenter sous laforme d'une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté,
l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ».
125. L. 29 juill. 1881, art. 29, al. 2nd
: « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective
qui ne renferme l'imputation d'aucunfait est une injure ».
126. Tel est notamment le cas lorsque le délit de diffamation est commis par un journaliste à l'issue
d'un travail d'investigation sérieux et dénué de toute animosité personnelle. La bonne foi justifie mais
n'anéantit pas le délit de diffamation.
127. Ch. BIGOT, Pratique du droit de la presse, Dalloz, 2020, 3e
128. Loi du 29 juill. 1881, art. 29, al. 2nd
éd., p. 240, nº 322.14.
.

Bibliothèque des sciences criminelles - Tome 76 - La question du cumul de déclarations de culpabilité en droit pénal interne et en droit international pénal

Table des matières de la publication Bibliothèque des sciences criminelles - Tome 76 - La question du cumul de déclarations de culpabilité en droit pénal interne et en droit international pénal