Bibliothèque des sciences criminelles - Tome 74 - La pluralité de victimes en droit pénal - 76

76
LA PLURALITÉ DE VICTIMES EN DROIT PÉNAL
intentionnellement à de multiples personnes, il est alors impossible de voir plusieurs
meurtres88 parce qu'il n'yaqu'une seule valeur protégée en dépit de la pluralité de
victimes. Cette solution est en effet la conséquence du caractère essentiellement abstrait
de la valeur protégée qui s'envisage indépendamment de son ou ses titulaire(s)89.
De la sorte, la pluralité de victimes n'entraîne pas pluralité de valeurs protégées à
moins que les victimes le soient de valeurs différentes. À cela s'ajoute que la valeur
protégée - son nom du reste l'indique - correspond à l'objet protégé par l'infraction.
Il en découle qu'elle appartient conceptuellement à l'infraction du législateur et non à
celle du délinquant. La source de la réprobation pénale ne semble en effet pas tenir en
soi à l'existence de plusieurs valeurs sociales protégées mais à la lésion ou la mise en
danger par le fait infractionnel. Mais, ce n'est plus alors de valeur sociale protégée
dont il semble être question car le caractère consubstantiellement abstrait de la valeur
exclut en effet qu'elle puisse être réellement atteinte ou mise en danger par le fait
infractionnel. Ce que l'infraction du délinquant atteint ou met en danger paraît alors
résider dans un autre élément qui se distingue de la valeur protégée précisément sur
ces deux points en ce qu'il admet à la fois une titularité et une concrétisation. Il pourrait
s'agir du bien juridique.
114. Critère du nombre de biens juridiques. Le dernier critère de multiplication
des infractions qui peut être envisagé est ainsi celui du bien juridique90.D'inspiration
allemande, ce concept est susceptible de deux acceptions. En effet, celui-ci peut
en premier lieu être envisagé abstraitement et peu ou prou correspondre alors à la
valeur protégée91. Par exemple, le bien juridique abstrait du meurtre92
est ainsi la
Vie entendue de façon générale et qui constitue aussi la valeur protégée par cette
infraction. Par analogie avec la valeur protégée, le bien juridique abstrait ne constitue
donc pas un critère adéquat de multiplication des infractions commises sur plusieurs
victimes par un même fait. Mais, le bien juridique peut en second lieu être également
envisagé dans sa dimension concrète et se distinguer alors bien plus nettement de la
valeur sociale protégée.
115. Critère du nombre de biens juridiques concrets. Selon une seconde
acception, le bien juridique entendu concrètement correspond à l'objet juridique
atteint ou mis en péril par l'infraction du délinquant et est appréhendé en tant qu'appartenant
à un ou plusieurs titulaire(s) déterminé(s). Pour reprendre l'exemple du
meurtre, le bien juridique concret n'est pas la Vie en général mais la vie de la personne
qui est concrètement décédée. Participant ainsi à l'infraction du délinquant, le
bien juridique concret paraît alors tout destiné à en déterminer le nombre.
88. C. pén., art. 221-1.
89. Rapp. de G. Beaussonie, « La notion de valeur sociale protégée », in L'empreinte des valeurs
sociales protégées en droit pénal, P. Mistretta, S. Papillon et C. Kurek (dir.), Dalloz, coll. Thèmes et commentaires,
2020, p. 9, où l'auteur énonce que l'« assimilation des droits de l'homme et des valeurs [...]
porterait à évincer de la catégorie [des valeurs sociales] tout ce qui n'est pas rattachable à un sujet identifié
- ce qui enlèverait tout intérêt à cette catégorie ».
90. Sur celui-ci, v. la thèse de M. Lacaze, Réflexions sur le concept de bien juridique protégé par le
droit pénal, LGDJ, Fondation Varenne, coll. des Thèses nº 39, 2010. V. égal. la thèse de J. Walther, L'antijuridicité
en droit pénal comparé franco-allemand : contribution à une théorie générale de l'illicéité,
Nancy, 2003, spéc. p. 367 et s.
91. Sur la similarité de la valeur sociale protégée et du bien juridique, v. not. G. Beaussonie, « La
notion de valeur sociale protégée », in L'empreinte des valeurs sociales protégées en droit pénal,
P. Mistretta, S. Papillon et C. Kurek (dir.), Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2020, p. 6.
92. C. pén., art. 221-1.

Bibliothèque des sciences criminelles - Tome 74 - La pluralité de victimes en droit pénal

Table des matières de la publication Bibliothèque des sciences criminelles - Tome 74 - La pluralité de victimes en droit pénal