Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 40 - Pierre-Louis Roederer (1754-1835) : science sociale et législation - 50

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PIERRE-LOUIS ROEDERER (1754-1835) : SCIENCE SOCIALE ET LÉGISLATION
immédiatement par la souveraine puissance de la nature, (...) dont l'objet est de mettre
la force au service de la faiblesse (...) la société ne peut être que l'effet d'une convention
; elle nepeut avoir d'autre lien que l'union des volontés, d'autre objet qu'une égale
certitude d'exercer les droits naturels à l'homme, d'autre caractère que la réciprocité
des services (...) elle n'a aucune ressemblance avec le principe de lafamille »6.
61. L'affirmation d'un lien social contractuel a pour première conséquence d'affranchir
formellement la communauté des citoyens de la nécessité caractéristique des
sociétés naturelles. En ce sens, Roederer insiste sur l'idée que la société est « l'effet
d'une volonté réfléchie, (...) formé par l'espérance de quelques avantages, non par
l'impossibilité de pourvoir à [l]a conservation »de l'individu7.L'état de nature permet
ainsi de marquer une distance entre l'état social et la pure nécessité naturelle8.
Sans jamais émanciper la volonté de l'individu des lois de la nature, Roederer ne les
relie pas expressément, car il entend présenter le consentement des gouvernés comme
le ciment de l'organisation sociale. C'est la raison pour laquelle il renoue avec le
matérialisme hobbésien, et suppose l'existence d'un espace où la volonté de l'individu
s'est initialement exprimée pour fonder la société politique. Si Roederer passe
sous silence la nécessité du contrat social en 1788, c'est pour mieux affirmer l'emprise
des individus sur la mise en œuvre de ce contrat. Il reconnaîtra plus tard le caractère
purement abstrait de cette posture philosophique9.L'état de nature lui a toutefois
permis de fonder son discours sur une théorie contractualiste du pouvoir, plus directement
compréhensible, et donc efficace, que celle formulée par les tenants d'un pur
matérialisme scientifique. À Guiraudet accusant l'esprit d'analyse d'avoir laissé place
à« une agrégation d'individus », l'ancien Constituant rétorque en invoquant les principes
au nom desquels a été abattue la monarchie absolue de droit divin : « les premières
des choses qu'aurait trouvées l'analyse dans l'idée de société, c'est qu'elle est
l'effet d'un contrat, et qu'ainsi elle ne peut êtreformée qu'entre des individus en état
de contracter, et libres de contracter »10.
62. Si Roederer prend ses distances avec le vocabulaire de la nécessité lorsqu'il
s'agit de promouvoir le contractualisme politique, il s'en rapproche au moment de définir
l'objet du contrat social. À partir de 1788, il souhaite en donner une définition claire,
et ainsi parachever le travail de ceux qu'il considère comme ses prédécesseurs : « Locke
réduit ces avantages à la propriété (des biens, de la vie, de la liberté) ; Condorcet distingue
la liberté, lapropriété, l'égalité, la sûreté ; Montesquieu, la liberté despersonnes
et des biens ; (...) les économistes, liberté des personnes, des biensfonds, des richesses
mobiliaires (...) il m'asemblé que l'idée de sécurité renfermait celle de tous les
6. De la députation..., op. cit.,p. 5.
7. Ibid.
8. Cette distance n'existe pas chez D'Holbach, et bien que les deux auteurs ont en commun de vouloir
faire reposer l'autorité sur le consentement des gouvernés, la lecture des œuvres politiques d'Holbach
soulève des difficultés que Roederer a certainement remarquées, et qu'il contourne. Parmi les principales
interrogations soulevées par les théories d'Holbach, figure celle de la valeur du consentement à l'autorité
politique, dès lors que sa démarche scientifique conduit à envisager la société politique comme une nécessité
commandée par les lois naturelles.
9. Voir notamment De la philosophie moderne, et de la part qu'elle a eue à la Révolutionfrançaise,
ou examen de la brochure publiée par Rivarol sur la philosophie moderne ; par Roederer, de l'Institut
national, Paris, frimaire an VIII, p. 18.
10. De la famille considérée comme l'élément des sociétés, par. T. GUIRAUDET, Journal d'Économie
Publique, XXXIV, 20 thermidor an V, t. IV, p. 353.

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