Bibliothèque de droit international et de l'Union européenne - Tome 139 - La dénonciation et la renégociation des traités - 76

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LA DÉNONCIATION ET LA RENÉGOCIATION DES TRAITÉS
conventionnel sont considérablement modifiés de sorte que les obligations deviennent
plus onéreuses au détriment d'une des parties, tellement onéreuses que certains l'assimilent
à un cas d'enrichissement sans cause surtout lorsque le changement est considéré
quantifiable28. Par ailleurs, loin de l'approche économique de l'équilibre conventionnel,
d'autres ont estimé que le changement fait perdre au traité sa « raison
d'être »29, évoquant la théorie de « la cause de l'engagement » et « la cause de l'obligation
», lui accordant ainsi une portée plus large que sa dimension pécuniaire30.
159. La clause rebus sic stantibus a par ailleurs divisé les opinions doctrinales
entre, d'une part, ceux qui y voient un droit de se libérer de l'engagement en question
ou de le réajuster aux nouvelles circonstances, et d'autre part, ceux qui soutiennent
que la clause conférait à l'État la simple faculté de l'invoquer auprès de ses cocontractants
sans lui conférer un droit de mettre automatiquement fin à l'accord en question.
L'État invoquant cette clause doit ainsi se retourner vers les autres parties et leur
demander leur accord pour renégocier le traité, le dénoncer ou y mettre fin. En cas de
désaccord, certains auteurs rejettent l'idée que l'État peut dénoncer unilatéralement le
traité31.
160. À cet égard, le renvoi est souvent fait à la Déclaration de Londres de
187132, quand la Russie s'est basée sur le principe de la clause rebus sic stantibus
pour dénoncer unilatéralement le Traité de Paris de 1856 relatif à la neutralité de la
Mer Noire. Lors d'une conférence tenue à Londres, les autres États concernés ont
contesté la procédure suivie unilatéralement par la Russie sans toutefois mettre en
cause le bien-fondé de la règle :
Les plénipotentiaires de l'Allemagne du Nord, de l'Autriche-Hongrie, de la
grande Bretagne, de l'Italie, de la Russie (...), reconnaissent que c'est un principe
essentiel du droit des gens qu'aucune d'elles ne peut se délier des engagements
d'un traité, ni en modifier les stipulations qu'à la suite de l'assentiment des puissances
contractantes au moyen d'une entente amicale.
161. Au lendemain de la fin de la première guerre mondiale, le Pacte de la SDN
a été établi. Dans un souci de maintenir la paix mondiale, le Pacte a repris l'esprit de
la règle rebus sic stantibus dans son article 19 en privilégiant la renégociation. L'article
prévoyait plus précisément que « [l]'Assemblée peut, de temps à autre, inviter les
membres de la Société à procéder à un nouvel examen des traités devenus inapplicables
ainsi que des situations internationales, dont le maintien pourrait mettre en péril
la paix du monde »33.L'invitation à la renégociation du traité en question est nettement
reflétée dans l'invitation au « nouvel examen » du traité engendrant de sérieuses
menaces quant à la paix mondiale s'il demeure partie du droit positif tel qu'il l'est.
28. Voir A. Hêche, « Les conditions d'application de la clausula rebus sic stantibus », op. cit.,
pp. 327-328. Voir aussi Projet Gabčikovo-Nagymaros, préc., p. 64, § 104 et Affaire concernant l'apurement
des comptes entre les Pays-Bas et la France, décision du 12 mars 2004, CPA, Recueil des sentences arbitrales
2006, Nations Unies, pp. 342-344.
29. L. H.Woolsey, « The Unilateral Termination of Treaties », AJIL, 1926, p. 349.
30. Voir, entre autres, A. McNair, « La terminaison et la dissolution des traités », op. cit., pp. 475-476.
31. Ibid.
32. ACDI, 1963, vol. I, p. 150 ; M. Bourquin, « Stabilité et mouvement dans l'ordre juridique international
», RCADI, 1938, pp. 398-399 et P. Cahier, « Changement et continuité en droit international. Cours
général de droit international public », RCADI, 1985, p. 214.
33. Souligné par l'auteur.
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