Cours - Introduction au droit - 9e - 109

Le défi des souverainetés - L'articulation entre le droit national interne et le droit européen
est celui de l'Europe mais dont la légitimité est douteuse car partageant largement le pouvoir avec la
« Commission ». Le système est devenu gravement déséquilibré32
.
C. L'Europe au forceps
88 Bonnes et mauvaises intentions. - Porter un jugement sur le phénomène européen suppose de
faire appel plus à l'esprit de finesse qu'à celui de géométrie, pour citer Pascal.
Uneidéerécurrenteest celle des« États-Unis d'Europe » qui seraient le pendant des « États-Unis
d'Amérique ». L'étudiant a certainement entendu parler des nombreux discours de Victor Hugo sur
les États-Unis d'Europe. Pourtant il y a une très importante différence entre les États-Unis d'Amérique
et les hypothétiques États-Unis d'Europe : il existe une nation américaine ; il existe des nations européennes,
c'est ce qui fait toute la différence. Les Américains parlent une même langue, non les Européens.
Le
discours sur la construction européenne est trop souvent un discours savant d'élites33
voulant le
bien du peuple sans le peuple. Ceux que Daniel Halévy dénommait plaisamment les « démophiles antidémocrates
». C'est devenu un discours convenu34
. De toutes les manières, le choix laissé est toujours
entre l'Europe ou le désastre. L'Europe risque de périr, malheureusement, un jour de la désillusion de
ses promesses. Elle pourra se confondre avec les intérêts de quelques nations, voire d'une, et sera
fatalement unesourcedeconflits. L'Europe devrait méditer prudemment sur l'effondrement, à ses
portes, de la Fédération de Yougoslavie, et de la Tchécoslovaquie, de l'Union Soviétique ; et désormais
de la guerre entre la Russie et l'Ukraine. Il est souvent dit que « l'Europe apermis lapaix ». C'est une
erreur de perspective : « C'est la paix qui a permis la construction européenne », et la paix issue de
l'ancienne « guerre froide » où l'équilibre découlait de la « terreur partagée ». Ce n'est pas, au demeurant,
une raison de regretter ce temps glacial.
L'Europe ne pourra vivre raisonnablement sans la souveraineté des États qui la façonnent, sinon elle
suscitera celle des régions qui la tueront. Le choix n'est donc pas manichéen entre l'Europe et les
États, mais il est de bâtir une Europe faisant en sorte que l'épanouissement des nations35
ne
conduise pas aux conflits.
89 L'échec d'une constitution européenne. - Personne n'a vraiment voulu tirer parti du rejet du
« Traité constitutionnel » en 2005. Déjà le terme portait une contradiction radicale : un traité est un
acte juridique entre deux États ; une constitution est l'acte fondamental d'un État. Un traité ne peut
contenir une constitution. La réponse négative de la France (29mai 2005) puis des Pays-Bas (6juin
32. Lire la conclusion du discours de la Sorbonne, le 25mars 2024, sur l'Europe par le président Macron : « À nouveau, notre Europe ne s'aime
pas. Quand on voit tout ce qu'elle afaitetce qu'on lui doit, c'est étrange, mais c'est ainsi. Ce serait trop long ici de dire qu'il y a en fait dans
notre Europe, structurellement, toujours ce doute sur elle-même. Nous sommes le continent, la civilisation qui a sans doute inventé le doute et
le questionnement sur soi, la culture de l'aveu et je crois qu'il y reviendra lui-même dans ses conférences. Et nous sommes pris à des doutes
aussi parce que notre démocratie est bousculée, comme je le disais tout à l'heure dans ces règles, parce que notre déclin démographique est
une source d'inquiétude très profonde. Donc, le risque pour notre Europe, ce serait, en quelque sorte, de s'habituer à cette dépréciation. »
33. On ne peut que renvoyer au dense et riche ouvrage de l'ancien conseiller du président F. Hollande, A. Morelle, L'opium des élites, Grasset,
2021, dont le sous-titre est révélateur « Comment on a défait la France sans faire l'Europe » : « Avec le " tournant " de mars 1983, François Mitterrand
a fait prendre à notre pays et à l'Europe le chemin du fédéralisme. Sans débat, sans contradicteur, sans consulter la Représentation nationale,
il fit - seul - un choix décisif pour lequel il n'avait pas été élu, et que lesFrançaisn'auraient pas approuvé. »
34. Un étudiant de 1re
annéepeut liresans difficultéun livre de hautevaleur : M. GAUCHET,avec É. CONAN et FR.AZOUVI, Comprendre le malheur français,
Folio actuel (poche), 2021, sur ce point spécialement le chapitre VI « Le piège européen ». Une analyse d'une rare lucidité.
35. P. D'IRIBARNE, La Nation, une ressource d'avenir, Artège, 2022 ; démonstration de la reviviscence de la pensée sur ce sujet naguère frappé de
prescription deux ouvrages, dans la même célèbre collection « Bibliothèque des Histoires » de Gallimard : P. ORY, Qu'est-ce qu'une nation? Une
histoire mondiale,2020 ; T. SNYDER, La reconstruction des nations - Pologne, Ukraine, Lituanie, Bélarus - 1569-1999, 2022, ce dernier livre ayant
pris brusquement un sens plus fort en mars 2022.
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