Cours - Droit des régimes matrimoniaux, du PACS et du concubinage - 8e - 138

DROIT DES RÉGIMES MATRIMONIAUX, DU PACS ET DU CONCUBINAGE
que les époux avaient conscience qu'ils consentaient à des actes croisés... En revanche, lorsque les
époux se portent caution en termes identiques sur l'acte même de prêt, la Cour de cassation juge
que chaque époux s'est constitué caution en garantie d'une même dette et que dès lors l'article 1415
ne trouve à s'appliquer (il ne s'agit plus de l'autorisation de l'un pour l'engagement de caution de
l'autre)79
. Ils engagent donc tous deux leurs biens propres et revenus ainsi que les biens communs.
Pour autant on peut sérieusement douter de l'efficacité quotidienne des dispositions de l'article 1415.
Celles-ci aboutissent, en pratique, au contraire du but recherché. Que va faire le banquier ? Systématiquement
prendre la précaution de faire intervenir à l'acte le conjoint qui donnera son consentement
sans bien prendre conscience qu'ainsi c'estlui, etnon curieusement l'époux-caution, qui engage toute
la communauté. À tel degré que Christian Mouly80
avait pu écrire que, paradoxalement, les concubins
se tiraient mieux d'affaire car le banquier ne songeait pas, alors, à l'article 1415 du Code civil et ne
faisait pas appel au compagnon ou à la compagne ! Cela est vrai, mais le sort des concubins
pacsés devient plus redoutable. L'article 1415 ne s'applique pas à eux, mais en cas de non-paiement
le banquier peut saisir les biens de l'indivision, or l'indivision peut être plus étendue que la communauté.
On peut donc faire une sorte de classement : les plus à la merci du banquier seront les concubins
pacsés, puis les époux mariés sous le régime légal, enfin les concubins « libres » si l'on peut dire.
Comme quoi, la loi, sans être toujours un mal en soi, aboutit parfois à faire le mal qu'elle voudrait
éviter.
Si l'on veut vraiment protéger un époux contre les conséquences des sûretés personnelles consenties
par son conjoint (le plus souvent sans aucune malveillance ni intempérance : peut-il faire autrement
pour obtenir le crédit dont a besoin son entreprise ?), il ne suffit pas de protéger son consentement,
il faut le protéger contre son consentement. La solution radicale serait de déclarer que le
consentement du conjoint de la caution ne permet que l'engagement de la part de la communauté
de celle-ci, c'est-à-dire la moitié. La seule loi protectrice est celle qui a l'énergie de l'ordre public ; le
reste est largement illusoire, tant le particulier aura face à lui un professionnel qui connaîtra toujours
mieux le droit, et surtout la manière de l'éluder, que lui. Il n'y a que dans la Bible où David abat Goliath
avec une fronde.
Par ailleurs, comment articuler ces règles matrimoniales avec celles régissant le cautionnement ?
Ainsi de celle exigeant que l'engagement de la caution soit proportionné à ses biens et revenus (art.
L. 341-4 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 14 mars 2016,
aujourd'hui codifié à l'article L. 332-1 du Code de la consommation)81
: la Cour de cassation opère une
dissociation entre l'assiette du gage du créancier, énoncée à l'article 1415, et l'assiette d'appréciation
du caractère disproportionné, qui se révèle plus large82
.En l'absence du consentement du conjoint,
la caution n'engage donc que ses biens propres et ses revenus, mais les juges peuvent prendre en
79. Cass. 1re
civ., 13 oct. 1999, Bull. civ. I, nº 273 ; JCP2000.II.10307, obs. Casey ; Defrénois2000. 784, obs. Champenois ; Dr. fam. 2000, nº 25 et la note,
RTDciv. 2000. 393, obs. Vareille ; Cass. com., 5 févr. 2013, Bull. civ. IV, nº 22, JCPN 2013, p. 417, note Gout ; D. 2013, p. 429, note Avena-Robardet ; ibid.
2013, 1253, note Molière ; AJfam. 2013. 187, obs. Hilt ; Rev. sociétés 2013. 507, note Dauriac ; Contr. conc., consom. 2013, nº 125, obs. Raymond ;
RLDC2013/105, nº 5134, obs. Simler.
80. Op. cit.,nº 4.
81. S'agissant de l'obligation d'information, le conjoint ayant seulement donné son consentement n'en est pas créancier : Cass. com., 9 févr. 2016,
nº 14-20304 P ; D. 2016 ; 1415, note Molière ; ibid. 1955, obs. Crocq ; ibid. 2086, obs. Brémond ; AJ fam., 2016, 218, obs. A.-R. ; Rev. sociétés 2016, 359,
note Juillet ; RDC2017, 75, note Barthez.
82. Pour le revirement franc : Cass. com., 15 nov. 2017, nº 16-10504 ; RTDciv., 2018, 199, obs. Nicod ; JCP G2018, 13, note Simler ; D. 2018, 392, note
Dumont-Lefrand ; RTDciv., 2018, 184 et 179, obs. Crocq ; D. act. 28 nov. 2017,obs.Brémond ;pour les prémices :Cass. com., 22 févr. 2017,nº 15-14915
P; D. 2017,2119,obs.Brémond ; ibid. 2176,obs.Martin et Synvet ; Rev. sociétés 2017, 586, Pla-Burisis ; Dalloz act. 7mars 2017, obs. X. Delpech ; RD
banc. fin. 2015. Comm. 72 ; Gaz. Pal. 2017, nº 22, p. 70, note M. Bourassin ; Defrénois 2017, nº 128g2, p. 31, obs. S. Cabrillac ; ibid. 2018, nº 5, p. 24, obs.
Champenois ; RJPF 2017-4/29, note Dubarry ; Cass. com., 18janv. 2017, nº 15-12723 ; D. 2017, 212 ; AJ. Contrat 2017, 122, obs. Houtcieff ; Rev. sociétés
2017, 282, note Ansault ; RTD com., 2017, 625, obs. Lecourt ; Cass. 2e
civ., 15 oct. 2015, nº 14-22684 P ; pour une comparaison avec le régime de
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