Précis Domat - Droit constitutionnel et institutions politiques - 38e - 173

LE RÉGIME REPRÉSENTATIF
On est ainsi porté à une comparaison mécanique des poids et contrepoids (checks and balances).
Si aucun d'entre eux ne pourra tendre, de la sorte, à l'omnipotence du fait de l'enchaînement
mutuel des forces, les contraintes pèsent d'abord sur la puissance législative. Cependant, la formule
de l'auteur est saisissante. Par-là, se marque une certaine différence entre sa conception et ce
qui semblerait découler logiquement de la distinction entre gouvernants et leurs censeurs. Mais
l'expérience a prouvé que c'est Montesquieu qui avait raison et, qu'il fait ainsi poser des bornes
au droit de censurer, car il peut devenir abusif. Ainsi, en régime parlementaire, le gouvernement
peut certes être renversé par ses censeurs ; mais il doit pouvoir à son tour les renvoyer devant
leurs électeurs, par l'exercice du droit de dissolution.
4º Il faut enfin remarquer que la pensée de Montesquieu est ambiguë. L'auteur l'avait subodoré,
en notant : Je serai plus lu que compris. Empreinte de libéralisme, elle permet de préserver
et de justifier l'importance du monarque22
au sein des institutions. Par ailleurs, alors que Montesquieu
incline plutôt, mais sans le dire expressément, en faveur d'une collaboration des pouvoirs
(Ces trois puissances devraientformer un repos ou une inaction. Mais comme, par le mouvement
nécessaire des choses, elles sont contraintes d'aller, elles seront forcées d'aller de concert. Ces
derniers termes sont essentiels, car aller de concert, c'est bel et bien collaborer23
même si Montesquieu
reste évasif sur les moyens de garantir cette collaboration), or seule la séparation des
pouvoirs est passée à la postérité (voir l'article 16 de la Déclaration de 1789 ainsi que l'article 19
de la constitution de 1848 proclamant que la séparation des pouvoirs est la première condition
d'un gouvernement libre). Comment expliquer ce décalage ?
C. LES INTERPRÉTATIONS DEMONTESQUIEU
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Qu'a voulu dire Montesquieu ou plutôt que lui a-t-on fait dire ? En politique, on
affirme volontiers que ce qui importe : c'est la représentation des choses24
. Il est
commun, de nos jours, d'affirmer que Montesquieu prônait, à l'instar de ce qu'il
avait observé en Angleterre, une collaboration élargie des pouvoirs (où le pouvoir
législatif est exercé collectivement par le monarque et les deux chambres - concept
du King in Parliament) et non une séparation étanche entre eux. Pourtant, il a pu
être soutenu par Carré de Malberg que l'ensemble du chapitre VI implique l'isolement
de leurs titulaires, et non point leur union ou association. Par ailleurs, il n'est
pas indifférent de noter que les premières constitutions écrites apparues sur la scène
juridique (l'américaine de 1787 et la française de 1791) établissent, en se fondant
sur les écrits de Montesquieu présenté tel un oracle (Madison), une spécialisation
fonctionnelle poussée entre les différents organes fort éloignée du modèle anglais.
Les révolutionnaires français ont été particulièrement sensibles à l'imbrication des
■ 22. Aussi Kelsen considère-t-il que ce n'est nullement afin defrayer la voie à la démocratie, que l'on a,
depuis Montesquieu,fait valoir le dogme de la séparation des pouvoirs, mais plutôt au contraire en vue de
conserver au monarque, à moitié éliminé de la législation par le mouvement démocratique, la possibilité
d'exercer un pouvoir propre dans le domaine de l'exécution. Le dogme de la séparation des pouvoirs est le
noyau de l'idéologie de la monarchie constitutionnelle. La démocratie, Sa nature, Sa valeur, 1932.
■ 23. Eisenmann estimait que si le pouvoir est censé arrêter le pouvoir, cela implique nécessairement que
les pouvoirs soient appelés à consentir tous deux à une même décision, c'est-à-dire qu'ils exercent conjointement
la même fonction pour le règlement de la même matière.L'esprit des lois et la séparation des pouvoirs,
Mélanges Raymond Carré de Malberg, 1933.
■ 24. Pour Vedel, la chose est entendue : que reste-t-il alors de Montesquieu ? Les deux seules choses
qu'au fond il ait réellement dites : qu'un pouvoir sans contrôle est fou ; qu'un peuple n'est libre que
dans la mesure où il n'abdique pas l'exercice de la souveraineté dans les mains d'une seule Assemblée,
d'un seul homme, d'un seul parti. Tout le reste est littérature, à quoi les professeurs eux-mêmes ont
renoncé. (Le Monde, 19juillet 1958).
Première partie : Les fondements du droit constitutionnel
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