Précis Domat - Institutions juridictionnelles - 20e - 517

RACINES
révélé plusieurs types d'épreuves. Unilatérales (subies seulement par l'une des parties)
: l'ordalie du fer rouge (un fer chauffé au rouge doit être tenu en main, puis la
main blessée entourée d'un sac scellé ; si, au bout d'un temps déterminé par le juge,
la main a bon aspect, cela signifie que la partie doit être crue en ses assertions ; si
au contraire la main a mauvais aspect, cela signifie que la partie en question ment
ou est coupable), l'ordalie de l'eau froide (la partie soumise à l'épreuve est plongée,
depuis une barque, dans un lac ou un fleuve ; si elle remonte immédiatement à la
surface, elle ne sera pas crue, car l'eau, élément pur, la rejette ; à l'inverse, si elle
reste un certain temps sous l'eau, elle sera crue et le juge fera droit à ses demandes).
Il y a d'autres ordalies unilatérales qui ont eu cours dans la Gaule franque, jusque
dans les premiers siècles capétiens. Notamment une ordalie bilatérale (à laquelle les
deux parties étaient soumises) qui connut une grande fortune : le duel judiciaire.
Il s'agissait d'un combat qui emportait perte du procès en cas de défaite - la raison
du procès coïncidait avec celle du vainqueur au combat.
Ces ordalies furent condamnées et prohibées par l'Église - notamment en 855
par le concile de Valence, et encore en 1215 par le IVe
concile du Latran. Au
XIII
e siècle, en 1258 précisément, le roi Louis IX (saint Louis), promulgua une
ordonnance par laquelle il interdisait l'usage du duel judiciaire et imposa dans la
procédure des preuves plus rationnelles. Toutefois, on aurait tort de cantonner les
ordalies au seul domaine de l'irrationnel, de la sollicitation païenne du divin. Certes,
il ne faut pas l'évacuer, mais concevoir que ce mode opératoire s'intègre dans
le règlement de désordres locaux, tribaux ou claniques. Si les chroniques médiévales
nous rapportent des événements miraculeux liés à la survenance du divin à l'occasion
d'ordalies, il convient aussi de réaliser que le temps ordalique, toujours long,
favorise le règlement amiable des conflits. La nature locale extrêmement réduite,
voire concentrée, des conflits pousse les juges à préférer une issue amiable aux
contestations : en effet, la grande valeur des conciliations repose sur le fait que les
protagonistes en conflit vont, par nécessité, continuer à vivre ensemble, dans le
même village, dans la même localité15
pas seulement ce mode de preuve irrationnel qui sollicite le jugement d'abord des
dieux païens, ensuite du dieu chrétien lorsque les barbares se convertirent au christianisme.
L'ordalie est cette modalité radicale, dont le juge - chef, roi, prêtre -
dispose pour pousser les parties à la conciliation en utilisant stratégiquement la
crainte que suscite la violence du résultat de l'ordalie16
(dont le jugement de Salomon
figure le modèle type, même si la tentative de conciliation a échoué).
652 Les réformes de Charlemagne et de ses successeurs. - Le projet politique
carolingien impliquait une première rationalisation et une professionnalisation de
la justice. Le règne de Charlemagne (768-814) se caractérise par la revendication
du pouvoir législatif. Contrairement aux Mérovingiens, les Carolingiens furent des
législateurs - c'était là renverser radicalement la conception du gouvernement.
Aussi, la parole législative du roi devait-elle, pour être exécutée, être comprise et
diffusée, principalement par écrit. Former le peuple à la lecture, tel est l'un des
■ 15. D. Barthélemy, « Ordalie », Dictionnaire du Moyen Âge, dir. C. Gauvard, A. de Libera, M. Zink,
Paris, PUF, Quadrige, 2e
éd., 2006, p. 1020-1022.
■ 16. Sur ce point, voir les longs développements de R. Jacob dans La grâce des juges, Paris, PUF, 2014.
Cinquième partie : Nature et culture(s) de lajustice
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. Il faut donc bien saisir que l'ordalie n'est

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