Précis Domat - Institutions juridictionnelles - 20e - 97

SERVICE PUBLIC DE LAJUSTICE
Le problème est complexe.
D'un côté, le principe d'un droit à indemnisation ne saurait être sérieusement
contesté sous prétexte, comme diraient les juristes anglo-saxons, que « la Couronne
ne se trompe jamais ». Ce n'est faire injure à personne que de constater qu'elle se
trompe parfois. Il serait injuste pour la victime de n'en pas tenir compte. Par ailleurs
on insiste beaucoup sur cette idée qu'il n'y a pas de pouvoir sans une responsabilité
corrélative. De nos jours, l'idée d'une responsabilité du juge a cessé d'être
un sujet tabou47
.
Il faut cependant être très prudent sur ce point, car d'un autre côté, de sérieuses
objections apparaissent qu'il serait téméraire de négliger. Tout jugement entraîne
des conséquences préjudiciables pour le plaideur qui succombe. Mais, dès lors
que toutes les voies de recours sont épuisées, le jugement à force de vérité légale
(on dit qu'il a autorité de chose jugée) et l'on ne saurait admettre qu'une partie
cherche à neutraliser indirectement ce qui a été jugé en s'efforçant d'obtenir des
dommages-intérêts compensatoires. Il est en outre indispensable de tenir le juge à
l'abri des poursuites inconsidérées exercées par un plaideur déçu qui chercherait
à assouvir une vengeance personnelle en mettant en cause la responsabilité de son
juge : s'il devait en être autrement, la justice y perdrait son prestige et, le juge, sa
sérénité.
Pour toutes ces raisons qui tiennent au particularisme du service public de la
justice, il est indispensable de soumettre la responsabilité du juge à un régime spécial,
très différent du droit commun. Mais, sur ce point, les textes obligent à établir
une distinction selon que la responsabilité est le fait des juridictions de l'ordre judiciaire
(§ 1) ou celui des juridictions de l'ordre administratif (§ 2).
§1. RESPONSABILITÉ DU FAIT DES JURIDICTIONS
DE L'ORDRE JUDICIAIRE
82
Diversité des régimes de responsabilité. - S'agissant de la
responsabilité résultant de l'activité des juridictions de l'ordre judiciaire, on constate
qu'il y a plusieurs types de responsabilité. Pour la clarté des explications, il faut
mettre à part les cas particuliers où la loi a édicté un régime spécial de responsabilité
(A). Mais, dépassant ces cas, la loi a posé en outre un principe général de
■ 47. Sur cette question (J.-Cl. Magendie, « La responsabilité des magistrats », D. 2003, chron. 1177) qui
a été relancée par certaines déclarations ministérielles qui ont insisté sur cette idée qu'il ne saurait y avoir
de pouvoirs sans une responsabilité personnelle corrélative (« À propos de la responsabilité des magistrats
», interview de Nicolas Sarkozy, D. 2005, p. 1956 ; adde, Discours du garde des Sceaux aux chefs de
cours, Gaz. Pal. 17 sept. 2005, 29). Cette prise de position a suscité de nombreuses réactions : J. Pradel,
« La responsabilité personnelle du juge pénal : faut-il vraiment changer l'état du droit ? » D. 2005,
p. 1953 ; D. Ludet, « À propos de la responsabilité des magistrats (Quelques réflexions sur des déclarations
ministérielles) », Gaz. Pal. 23-24 sept. 2005, p. 2 ; v. aussi M. Deguergue, Justice et responsabilité de
l'État, préf. Ph. Ardant, PUF, coll. « Droit et justice », 2003 ; G. Kerbaol, La responsabilité des magistrats,
PUF, 2006 ; Juger les juges. Du Moyen Âge au Conseil supérieur de la magistrature, AFHJ, La Doc.
Française, 2000 ; S. Jahier et J. Villacèque, « La discipline et la responsabilité des magistrats », in Droit et
déontologie des magistrats, B. Beignier, J. Villacèque, J. Volff (dir.), LGDJ, 2022, p. 239.
Première partie : Lajustice
97
Précis Domat - Institutions juridictionnelles - 20e

Table des matières de la publication Précis Domat - Institutions juridictionnelles - 20e
