Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°1 - 2024 - 224

SPÉCIAL « ARBITRAGE ET JEUX OLYMPIQUES »
La question principale selon la Cour européenne des droits de l'Homme est
de savoir si, au regard de ses obligations positives découlant de l'art. 14 CEDH,
l'État défendeur était tenu, et dans l'affirmative, dans quelle mesure, de protéger
la requérante contre tout traitement discriminatoire découlant de l'adoption du
Règlement DSD, lequel a été jugé nécessaire, raisonnable, proportionné et non
arbitraire par le TAS et le Tribunal fédéral 45
.
La Cour relève que le Tribunal fédéral aurait dû mettre en balance les intérêts
invoqués par World Athletics avec ceux invoqués par la requérante afin de
satisfaire aux exigences de l'art. 14 CEDH. Or le Tribunal fédéral ne l'a pas fait,
car, selon sa jurisprudence, un tel examen ne relève pas de la notion d'ordre
public 46
.
Elle estime que le contrôle exercé par le Tribunal fédéral, saisi d'un recours
contre la sentence du TAS, était très restreint car limité à la conformité de la
sentence arbitrale avec l'ordre public, et n'a en l'espèce pas permis de répondre
aux préoccupations sérieuses exprimées par le TAS d'une manière conforme aux
exigences de l'art. 14 CEDH 47
.
En conséquence, la Cour estime que la requérante n'a pas bénéficié en Suisse
des garanties institutionnelles et procédurales suffisantes qui lui auraient permis de
faire valoir ses griefs de manière effective, et que la Suisse a outrepassé la marge
d'appréciation réduite dont elle jouissait dans le cas d'espèce. Elle conclut donc
qu'il y a eu violation de l'art. 14 combiné avec l'art. 8 CEDH 48
.
b) Examen de la violation alléguée de l'art. 13 CEDH
La requérante soutient que le TAS et le Tribunal fédéral ont manqué à leur
devoir de la protéger de manière adéquate contre les atteintes à ses droits
découlant des art. 8 et 14 CEDH, et ce notamment en raison du pouvoir limité
conféré au Tribunal fédéral par l'art. 190 al. 2 let. e LDIP. Elle y voit une violation
de son droit à un recours effectif au sens de l'art. 13 de la convention 49
.
Le gouvernement rappelle que la Cour européenne des droits de l'Homme a dit
à plusieurs reprises que le TAS peut être considéré comme un tribunal indépendant
et impartial au sens de l'art. 6 § 1 CEDH. Il ajoute que la requérante a ensuite
pu porter l'affaire devant le Tribunal fédéral, qui a examiné ses griefs dans les
limites fixées par l'art. 190 al. 2 LDIP. Il admet qu'il n'est pas possible d'invoquer
directement une violation de la CEDH dans ce cadre, mais fait valoir que les
principes qui sous-tendent les dispositions de la CEDH peuvent néanmoins être
pris en compte afin de concrétiser la notion d'ordre public. Il cite à cet égard
la décision de la Cour européenne des droits de l'Homme selon laquelle le
système en place constitue « une solution appropriée » au regard de l'art. 6 de la
Convention 50
.
45. Ibid., § 165.
46. CourEDH, affaire Semenya c. Suisse, requête n° 10934/21, arrêt du 11 juillet 2023 § 186.
47. Ibid., § 200.
48. Ibid., § 201.
49. Ibid., § 226.
50. Ibid., § 230 ; CourEDH, affaire Mutu Pechstein c. Suisse, requêtes nos 40575/10 et 67474/10,
arrêt du 2 octobre 2018.
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The Paris Journal of International Arbitration 2024‑1

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