Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024 - 107

COMMENTAIRES DE JURISPRUDENCE
C. L'immixtion du débiteur dans le contentieux préalable
à la réalisation de la mesure
L'exigence d'une autorisation préalable de dégel conduit également à la
possibilité d'un contentieux de l'exécution public et contradictoire avant même la
réalisation de la moindre mesure provisoire ou d'exécution, à rebours complet de
la logique prévue par le CPCE.
En effet, lorsque la demande de dégel est refusée par le Trésor, le créancier
éconduit peut attaquer cette décision devant les juridictions administratives. Or,
contrairement à la procédure d'autorisation préalable prévue devant le juge de
l'exécution, de nature gracieuse et donc confidentielle, même à hauteur d'appel,
la procédure devant le tribunal administratif est publique 62
dissipation des actifs est a priori limité puisque ceux-ci sont par hypothèse gelés 63
. Si le risque de
,
cette publicité des débats peut permettre au débiteur - ou à l'entité visée en sa
qualité d'émanation - de s'immiscer dans le contentieux à ce stade très précoce
du processus de recouvrement.
C'est d'ailleurs très exactement ce qu'il s'est passé dans l'affaire Al Kharafi :
suite aux demandes de dégel formées par le créancier, la LIA est intervenue
volontairement à la procédure de contestation des décisions de refus du Trésor
portée devant le tribunal administratif 64
.
Cette manière de procéder inverse complètement le rapport de force traditionnel
des procédures d'exécution, dans lequel la validité d'une mesure n'est débattue
qu'a posteriori, offrant un levier de pression au créancier, dont la mesure produit
ses effets tant qu'un juge n'en a pas décidé autrement. Cet équilibre est pourtant
parfaitement justifié : muni soit d'un titre exécutoire, soit d'une autorisation du
juge, le créancier est nécessairement présumé de bonne foi, quand le débiteur
récalcitrant est, lui, supposé en tort. En permettant à ce dernier d'intervenir en
amont de la réalisation de toute mesure pour s'y opposer, cet équilibre est rompu,
laissant le créancier seule victime de la situation, sans que le débiteur subisse la
moindre conséquence négative de son refus de s'exécuter, pourtant par hypothèse
illégitime.
D. La gestion du concours entre créanciers
L'expérience prouvant qu'un mauvais payeur n'a rarement qu'un seul créancier,
le législateur a pris soin de définir dans le CPCE des règles permettant de résoudre
les situations de concours entre créanciers ayant fait pratiquer des saisies sur un
même bien de leur débiteur commun 65
.
62. Voir déjà les inquiétudes de praticiens à ce propos avant que la CJUE ne rende sa décision :
S. Bonifassi, P. Hoerner, M. Poirot & C. Lauras, « Gel des avoirs iraniens et droits des créanciers :
confusion entre indisponibilité et insaisissabilité », Village de la Justice, 23 septembre 2021.
63. Et encore, cela dépend des situations : comme indiqué supra, tous les actifs de la LIA ne
sont par exemple pas gelés - seuls ceux qui l'étaient au 16 septembre 2011 le restent. Dans un tel
cas, le risque de dissipation des actifs non gelés est donc réel.
64. TA Paris, 14 avril 2023, n° 20155775/4-3 (le recours a été rejeté).
65. Article L. 211-2 du CPCE pour les saisies-attributions ; article L. 221-6 du CPCE pour les
saisies de biens corporels ; article L. 523-1 du CPCE pour les saisies conservatoires.
Les Cahiers de l'Arbitrage 2024‑2
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