Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024 - 108

CASE LAW
Or, en exigeant l'obtention d'une autorisation de dégel préalable à toute
mesure, la CJUE et la Cour de cassation court-circuitent entièrement l'application
de ces règles et rendent pour le moins chaotique la gestion de ce type de conflits.
Aucun texte, en effet, ne régit spécifiquement la procédure de demande
d'autorisation de dégel auprès du Trésor, qui demeure largement informelle :
les lignes directrices de la Direction Générale du Trésor restent notamment
complètement silencieuses sur ce point 66
. Rien ne permet alors de garantir que le
créancier le plus diligent dans ses démarches sera assuré de prendre rang avant
d'autres éventuels concurrents ni que, toutes choses égales par ailleurs, le Trésor
ne décidera pas d'accorder un traitement de faveur à tel ou tel créancier sur des
critères parfaitement étrangers à ceux, par ailleurs objectifs, prévus par les divers
règlements de sanctions.
Il faut rappeler que le dégel des avoirs n'est qu'une faculté donnée au Trésor,
pas une obligation : les différents règlements de sanctions prévoient en effet que les
« autorités compétentes des États membres [...] peuvent [...] autoriser le déblocage
de certains fonds ou ressources économiques gelés » 67
(nous soulignons).
Si le créancier dont la demande est refusée dispose bien d'un recours devant
le tribunal administratif, aucune protection ne lui est accordée le temps que la
procédure aboutisse et, même s'il obtient gain de cause, rien ne lui garantit qu'il
n'aura pas été primé par un créancier qui aurait soumis une demande de dégel
postérieure à la sienne, mais cette fois accordée par le Trésor pour des raisons qui
ne seront jamais rendues publiques.
E. La difficile préservation des droits des créanciers
Outre la question du concours entre créanciers, se pose également celle de
savoir comment préserver, dans l'absolu, les droits d'un créancier qui serait dans
l'impossibilité de remplir les conditions du dégel, parfois victime d'un inévitable
effet de seuil lié à la condition d'antériorité du titre constatant la créance par
rapport à la décision de gel des avoirs 68
.
L'assemblée plénière de la Cour de cassation a certes fait un petit pas dans le
sens de la protection des intérêts des créanciers dans l'arrêt qu'elle a rendu suite
à la décision de la CJUE dans la même affaire 69
. Elle y affirme ainsi que « lorsque
les avoirs d'un débiteur sont gelés et que les conditions dans lesquelles l'autorité
française compétente peut autoriser le déblocage de certains d'entre eux ne sont
pas réunies ou que celle-ci a refusé de les débloquer, la prescription extinctive est
suspendue à l'égard des créanciers pendant toute la durée de la mesure de gel ».
Reste cependant à savoir si cette décision, rendue au visa notamment des
articles 2234 et 2244 du Code civil à propos de la prescription quinquennale des
66. Lignes directrices conjointes de la Direction Générale du Trésor et de l'Autorité de contrôle
prudentiel et de résolution sur la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs, 16 juin 2021, p. 39 s.
67. Par exemple : Règlement n° 2016/44, article 9,1. ; Règlement n° 423/2007, article 8 ;
Règlement n° 208/2014, article 5.
68. Rappelons que les créanciers dans l'affaire Bank Sepah ont obtenu leur titre exécutoire
quelques jours à peine après que la Bank Sepah a été placée sur la liste des sanctions de l'Union
européenne.
69. Cass. ass. plén., 29 avril 2022, n° 18-18542 et n° 18-21814.
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