Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024 - 19

DOCTRINES - DÉBATS
convenues autrement » (art. 1464 CPC). Dans l'arbitrage international, « dans le
silence de la convention d'arbitrage, le tribunal arbitral règle la procédure autant
qu'il est besoin ». Priorité à la convention, le pouvoir de l'arbitre est supplétif.
Théoriquement, du moins.
Car, d'une part, la pratique montre que le pouvoir supplétif de l'arbitre est le
plus souvent appelé à jouer. La plupart des procédures commencent par un Ordre
de Procédure comportant les Règles de procédure qui, s'il est débattu avec les
parties, n'est pas convenu avec elles, à la différence de l'acte de mission. Dira-t-on
qu'il n'en est pas moins le fruit de leur accord ? Oui, si l'on ne craint pas l'artifice.
D'autre part, de nombreuses voix s'élèvent en France et à l'étranger pour souligner
que la convention des parties, lorsqu'elle existe, « trouve sa limite dans ce qui fait
l'essence du pouvoir juridictionnel de l'arbitre » 11
et souhaiter même que l'arbitre
dispose de toute la liberté nécessaire à l'exercice de sa fonction de juge, afin qu'il
soit « le maître de la procédure » 12
.
15. Au demeurant, à quel titre règle-t-il la communication des pièces, la
comparution des témoins, le temps de parole des conseils, ou le recours à un expert ?
On voit bien que l'absence d'imperium ne l'empêche pas d'imposer aux parties
des obligations de comportement en cours d'instance auxquelles elles obéissent
spontanément, dont le caractère obligatoire ne peut trouver sa cause dans un accord
des parties. Comme l'a jugé la Cour de Paris, « l'absence d'imperium de l'arbitre
a seulement pour conséquence de le priver de tout pouvoir coercitif à l'égard des
parties et des tiers en subordonnant l'efficacité de sa décision à l'exequatur de
l'autorité publique ; elle ne lui interdit pas en revanche, lorsque telle est sa mission,
de prescrire aux parties des obligations de faire, sauf à faire dépendre l'exécution
forcée de sa décision du contrôle préalable de l'autorité publique » 13
la décision de l'arbitre n'en est pas moins juridiquement obligatoire.
. En attendant,
C. Autorité de chose jugée et opposabilité aux tiers
16. La confusion entre le caractère obligatoire de la décision et l'imperium a
longtemps conduit à dénier à la sentence non exequaturée l'autorité de la chose
jugée. Aujourd'hui en France, comme dans un grand nombre de pays étrangers, la
confusion est dissipée : en matière interne et internationale « la sentence arbitrale
a, dès qu'elle est rendue, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation
qu'elle tranche » (art. 1484, al. 2 CPC).
17. Arrêtons-nous quelques instants sur ce phénomène. Pourquoi cette autorité
de chose jugée ? Si l'on s'en tenait à l'effet négatif de la règle, on pourrait encore
y voir l'écho de la convention originaire : en s'engageant à soumettre leur litige
à l'arbitre, les parties s'interdisent de le soumettre à nouveau à un autre juge ou
arbitre, une fois la sentence rendue. Mais comment justifier l'effet positif de la
chose jugée attaché à la sentence arbitrale ? Dans un litige différent, l'une des
parties pourra de manière incidente opposer à l'autre la décision de l'arbitre et
11. Ch. Jarrosson, note Rev. arb.. 1999, § 10, p. 619.
12. G. Kaufmann-Kholer, « Qui contrôle l'arbitrage ? Autonomie des parties, pouvoirs des
arbitres et principe d'efficacité », in Mélanges offerts à Claude Reymond, 2004, Litec, p. 164.
13. CA Paris, 19 mai 1998, Rev. arb. 1999, 601, n. Ch. Jarrosson.
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