Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024 - 30

ARTICLES - DEBATES
26. À ce titre, l'affaire des frégates de Taïwan mérite d'être évoquée, en
référence à la vente en 1991 par une société française de frégates à la marine
taïwanaise et qui aurait suscité le versement de rétrocommissions à des responsables
politiques 14
. Le secret de la défense nationale a été opposé à de nombreuses
reprises aux différents juges d'instruction enquêtant sur l'identité des bénéficiaires
de ces versements illégaux. La Commission du secret de la défense nationale
(« CSDN »), une autorité administrative indépendante compétente pour émettre
des avis sur des demandes de déclassification, s'est systématiquement opposée,
par avis défavorables, aux demandes de déclassification des juges d'instruction en
charge d'informations judiciaires pour différentes infractions liées à la vente des
frégates.
27. Quant au volet arbitrage dans l'affaire des frégates de Taïwan, la question
s'est posée de savoir si un litige couvert par le secret-défense nationale est arbitrable.
C'est d'abord devant le tribunal arbitral que la question de l'inarbitrabilité s'est
posée. L'argument a été écarté par les arbitres. La question s'est naturellement
reposée devant le juge français dans un recours en annulation, lequel n'a pas
abouti. Les sociétés Thalès et Thalès Naval SA ont alors formé pourvoi en
cassation en faisant notamment valoir que « le litige n'est pas arbitrable en raison
du classement secret-défense de son objet ou des éléments de preuve qui, sauf
à violer l'ordre public international, s'impose à elle, n'est pas compatible avec le
principe de la contradiction, la prive ainsi du droit au procès équitable et rend sans
effet la convention d'arbitrage ».
28. L'arrêt de la Cour d'appel a été censuré par la Cour de cassation mais pour
motif purement disciplinaire de manque de motivation 15
. Aucun enseignement
quant à l'arbitrabilité des litiges couverts par le secret-défense ne peut donc être
tiré de cet arrêt. Les interrogations que l'arrêt suscite sont en revanche nombreuses.
29. La première interrogation consiste à remettre en cause l'argument même
de l'arbitrabilité du secret-défense. En effet, si un litige est couvert par le secretdéfense,
ce n'est pas l'arbitrabilité qui pose problème, c'est la justiciabilité de
la matière litigieuse. Il serait alors inexact de réfléchir à cette problématique
sous l'angle de l'arbitrabilité car cela sous-entendrait que l'arbitre est empêché
de juger alors que le juge ne le serait pas. Or, dès lors que le secret n'est pas
déclassifié, la matière ne saurait être juridictionnalisée, que ce soit par la voie
de l'arbitrage ou par celle de la justice étatique. Pas plus qu'un arbitre, un juge
étatique, administratif ou judiciaire, ne saurait remettre en cause l'opportunité du
secret de la défense nationale qui lui est opposé, ni déclassifier une information
faisant l'objet de classification. Par ailleurs, le droit français est constant sur ce
point, le détenteur de secret-défense doit opposer cette obligation aux juridictions
(administrative et judiciaire) 16
.
14. Th. Clay, « Panorama - Arbitrage et modes amiables de règlement des conflits », D. 2010,
n° 44, 2942 ; J.-G. Betto (coord.), « Arbitrage international et secret de la défense : le point de vue
des praticiens », RDAI, n° 5, 2004, p. 827 ; G. Chabot, « Un litige couvert par un secret-défense est-il
arbitrable ? », note sous Cass. 1re
octobre 2009, comm. 19.
15. Cass. 1re
civ., 11 févr. 2009, n° 06-18746.
16. Conseil d'État, avis des 19 juillet et 29 août 1974.
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The Paris Journal of International Arbitration 2024‑2
civ., 11 février 2009, JCP G, n° 9, 25 février 2009 ; C. Jarrosson,
note sous Cass. 1re civ., 12 février 2009, Revue de l'arbitrage, 2009, n° 3, p. 518 ; J.-B. Racine,
Note sous Cass. 1re civ., 11 février 2009, n° 06-18.746, Journal du droit international (Clunet), n° 4,
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