Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024 - 32

ARTICLES - DEBATES
arbitral qui pourrait éventuellement rendre une sentence d'incompétence. Soit
le secret-défense n'affecte pas l'objet du litige mais uniquement les éléments de
preuve. L'arbitre est a priori tenu d'écarter les pièces couvertes par le secret-défense
du débat mais surtout, l'arbitre doit vérifier dans quelle mesure les conditions du
procès équitable sont réunies si l'égalité des armes est rompue pour une des parties
en raison des pièces classifiées affectant sa défense 18
. L'arbitre peut notamment
prendre en compte le volume et le caractère essentiel des pièces couvertes par le
secret-défense eu égard à l'objet du litige.
37. La quatrième et dernière réflexion au sujet de l'arrêt rendu dans l'affaire
des Frégates concerne les chances d'aboutissement du recours en annulation. En
l'espèce, le siège de l'arbitrage était en France, le recours en annulation était par
conséquent devant le juge français. Quant aux pièces couvertes par le secretdéfense,
elles étaient protégées par le secret de la défense nationale française. Or
il n'existe pas de secret-défense universel. La législation américaine, par exemple,
a une vision beaucoup plus large du secret-défense en ce qui concerne les intérêts
économiques du pays. Ces différences d'approche ont une portée considérable car
l'efficacité de la sentence n'est affectée devant un juge étatique que si la sentence
n'est pas conforme à son ordre public international. Si le secret-défense français est
invoqué devant le juge étranger, il n'est pas certain que ce juge annule la sentence
ou refuse de la rendre exécutoire. Réciproquement, pour prendre l'hypothèse où
un secret-défense étranger serait invoqué devant un juge français au soutien de la
demande d'annulation d'une sentence, l'on sait qu'à supposer que le Secret-défense
invoqué soit une loi de police étrangère, celle-ci ne serait prise en compte par le
juge français que si elle entrait elle-même dans l'ordre public international français
ou faisait partie d'un ordre public véritablement international dit transnational.
38. En amont, si l'on en revient aux pouvoirs de l'arbitre durant la procédure
arbitrale, se pose la question de savoir ce que l'arbitre peut faire pour respecter le
droit au procès équitable face au secret-défense et ainsi éloigner le spectre d'une
annulation de sa future sentence.
39. On peut donner un exemple au moins des moyens à la disposition de
l'arbitrage. Dans un arbitrage inter-étatique, la Cour permanente d'arbitrage a été
confrontée au secret-défense dans l'affaire Guyane c. Suriname ayant donné lieu à
une sentence en date du 17 septembre 2007 19
. En l'espèce, le Suriname avait refusé
de communiquer certains documents pour des raisons tenant notamment au secretdéfense.
La Cour permanente d'arbitrage a alors nommé un expert indépendant
pour examiner les documents en cause et identifier ceux qui relevaient du secret18.
Sur le sujet, v. par exemple, P. Mbongo, « Transparence et secret : de la loi du 8 juillet
1998 et du secret de la défense nationale », Gaz. Pal., 1999.1, doctr. P. 396 ; K. Mehtiyeva, « Secretdéfense
», in Informations et secrets. Regards croisés d'Afrique et de France, PUAM, 2024, p. 397 ;
F. Chaltiel, « Le secret-défense devant le juge constitutionnel (à propos de la décision du Conseil
constitutionnel du 10 novembre 2011) », Les Petites affiches, 5 janvier 2012, n° 4, p. 3 ; A. Lepage,
« Le secret de la défense nationale devant le Conseil constitutionnel : une décision mesurée »,
JCP G, n° 7, 13 février 2012, 176 ; v. A. du Cheyron, « Les secrets de la défense nationale » in
Y. Loussouarn, P. Lagarde (dir.), L'information en droit privé, LGDJ, 1978, p. 572 ; B. Warusfel,
« Définition juridique et contrôle du secret de la défense nationale », in Le secret et l'État, Cahiers de
la Fondation pour les études de défense, 1998, n° 12, p. 15.
19. CPA, Guyane c. Suriname, 17 septembre 2007 ; v. étude par T. Van Den Hout, Journal du
droit international (Clunet), n° 3, juillet 2008.
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