Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024 - 35

DOCTRINES - DÉBATS
A. Admissibilité des preuves obtenues par l'une des parties
par espionnage
52. Les arbitres sont juges de l'admissibilité des preuves qui leur sont soumises.
Ils ont le pouvoir d'exclure des débats les éléments de preuve susceptibles de
compromettre l'intégrité du processus arbitral ou, au contraire, de déclarer des
éléments de preuve admissibles malgré les contestations sur leur légalité et leur
valeur probante.
53. La difficulté réside alors dans l'incertitude du régime juridique de
l'espionnage. S'agit-il d'un fait licite ou d'un fait illicite ? Il n'existe pas de réponse
univoque à cette question. L'espionnage reçoit en droit interne un traitement
différent de l'espionnage en droit international 23
. Il est pénalement réprimé en
droit interne mais est toléré en droit international, sans qu'il y existe néanmoins
un régime juridique de l'espionnage établi en droit international. Par ailleurs, la
question n'est pas la même en cas d'espionnage en temps de paix ou en temps
de guerre. Ainsi, si la licéité internationale de l'espionnage pratiqué en période
de conflit n'est pas contestée, la licéité de la pratique en temps de paix divise
les auteurs. La plupart des auteurs affirment que l'espionnage est licite en droit
international 24
. Néanmoins, lors de la commission d'actes d'espionnage impliquant
une intrusion en territoire étranger, l'illicéité provient non pas de l'espionnage luimême
en tant qu'objectif, mais de l'acte illégal collatéral, c'est-à-dire du moyen
utilisé 25
.
54. Dans un procès arbitral, face à l'espionnage, certaines considérations
peuvent aboutir à considérer que la fin justifie les moyens. Cela explique sans
doute pourquoi l'espionnage dans l'arbitrage est toujours abordé indirectement,
sous le prisme d'autres principes tels que le respect de l'égalité des parties, la
bonne foi procédurale ou encore le secret professionnel de l'avocat. Par ailleurs,
un arbitre, qui ne peut que se prononcer sur le litige contenu dans son acte de
mission, ne peut se prononcer au-delà mais peut, en revanche, condamner ou tirer
les conséquences de l'abus d'espionnage par les parties.
55. On peut ici citer l'arbitrage d'investissement Methanex Corp c. États.
Methanex, grand producteur canadien de méthanol, dont les activités
ont été entravées par de nouvelles normes adoptées par l'État de Californie, a
porté plainte contre les États-Unis pour violation des règles d'investissement. Les
États-Unis ont tenté de faire déclarer irrecevables certains éléments de preuve
prétendument recueillis d'une manière incompatible avec les exigences de bonne
foi. Le tribunal a examiné les arguments des États-Unis relatifs à sa défense
procédurale et a conclu que, de même qu'il serait répréhensible pour les ÉtatsUnis
d'abuser de leurs moyens de renseignement pour espionner Methanex (et ses
23. A. S. Deeks, « Confronting and Adapting: Intelligence Agencies and International Law »,
102 Virginia Law Review, mai 2016, n° 3, vol. 102, p. 599.
24. A. Lubin, « The Sovereign Right to Spy », 112 Am. Soc'y Int'l L. Proc. 155 (2018), p. 155 ;
« Espionage as a Sovereign Right under International Law and its Limits », 24 ILSA Quart. 22 (2016),
p. 22 ; « The Liberty to Spy », 61 Harv. Int'l L.J. 185 (2020), p. 185.
25. F. Lafouasse, L'espionnage dans le droit international, préf. Pierre Brochand, Nouveau
Monde éditions, 2012, p. 27.
26. Methanex Corporation v. United States of America, Final Award of 3 August 2005, NAFTA,
44 International Legal Materials (2005), 1345.
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