Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024 - 37

DOCTRINES - DÉBATS
60. Le droit français ne définit pas le régime juridique des notes blanches
contenant les informations recueillies par les services de renseignement. Au vu de
l'essor considérable des notes blanches, au lendemain de la mise en place de l'état
d'urgence déclaré en novembre 2015, destinées à fonder les mesures de restriction
des libertés 29
, le régime juridique des notes blanches mérite de gagner en clarté.
Cette pratique, mise en lumière en raison des nécessités de l'état d'urgence,
présente en effet un intérêt scientifique et pratique au-delà de l'état d'urgence,
aussi bien quant aux auteurs des notes blanches, à leur processus d'élaboration,
aux destinataires de ces notes et aux conditions de leur utilisation.
61. Les notes blanches peuvent être analysées comme une sorte de compromis
entre l'administration et les autorités judiciaires. En effet, par les notes blanches,
l'administration accepte de porter à la connaissance du juge des informations
issues des services de renseignement ce qui permet de dépasser ainsi le secret et de
partager les connaissances. Mais ce partage a lieu avec l'objectif précis de donner
une suite aux renseignements collectés. La communication des informations par
les services de renseignement au juge devient possible dès lors que les notes des
services de renseignement ont été blanchies. Pour le juge, les notes blanches se
présentent comme un moyen de dépasser le secret-défense, qui est opposable au
juge, sans passer par une demande de déclassification avec un aléa inhérent à
cette dernière de se voir opposer un refus.
62. Dans la mesure où les notes blanches cherchent à porter à la connaissance
du juge des informations secrètes, la question centrale est celle de l'admissibilité
de ces notes comme preuves devant le juge, ainsi que de leur valeur probante. Un
détour par le régime général des notes blanches dans le contentieux étatique est
ici nécessaire pour dégager des enseignements en matière arbitrale. Les questions
appellent des observations différentes selon qu'il s'agit du juge administratif ou du
juge judiciaire.
63. Le juge administratif fait souvent face à des notes blanches fréquemment
utilisées dans le contentieux de l'asile, des arrêtés d'expulsion, des fichiers de sécurité,
ainsi que les contentieux liés au terrorisme ou à la défense nationale. En effet,
l'entrée et le séjour des étrangers relèvent généralement d'un régime administratif
d'autorisation préalable qui confère à l'autorité publique des pouvoirs de police.
C'est ainsi que les notes blanches sont souvent adressées au juge administratif
à l'occasion du contrôle des décisions de police administrative fondées sur ces
notes issues des services de renseignement, telles que les assignations à résidence,
les expulsions, la fermeture d'un lieu de culte, les ordres de perquisitions 30
. La
plupart du temps, ces notes sont issues de la Direction générale de la sécurité
intérieure (DGSI), le Service central du renseignement territorial (SCRT), la Direction
29. V. notamment une circulaire du 5 novembre 2016 du ministre de l'Intérieur relative à
l'articulation des mesures administratives et des mesures judiciaires en matière de lutte contre le
terrorisme et la prévention de la radicalisation, BOMJ n° 2016-11 du 30 novembre 2016 précise,
quant à la matérialité des faits et valeur probante des notes des services de renseignement : « Les
faits sur lesquels reposent les décisions en lien avec le terrorisme sont, pour l'essentiel, issus des
observations des services de renseignement, contenues dans des notes de ces services, dites « notes
blanches », qui se bornent à relater des faits sans pouvoirs toujours les établir ».
30. V. sur le sujet, A. Deprau, « La juridictionnalisation des notes blanches devant le juge
administratif », in Du droit de la sécurité intérieure et de la défense (coord. D. Cumin et T. Meszaros),
Mare & Martin, vol. 6, 2021, p. 175.
Les Cahiers de l'Arbitrage 2024‑2
403

Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024

Table des matières de la publication Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024