Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024 - 61

COMMENTAIRES DE JURISPRUDENCE
compétence temporelle. On peut en effet rappeler ici qu'à l'occasion de l'affaire
Oschadbank, donc dans des circonstances différentes, la Cour de cassation avait
cassé un arrêt de la cour d'appel de Paris pour avoir opéré une confusion entre
l'une et l'autre, rappelant qu'en cette affaire, la compétence du tribunal dépendait
de la clause compromissoire uniquement et non des dispositions relatives au champ
d'application temporel des dispositions substantielles du traité. En sanctionnant
le tribunal pour avoir reconnu sa compétence alors que les dispositions de fond
du traité n'étaient pas applicables ratione temporis, la cour d'appel avait donc
méconnu l'article 1520, 1° du Code de procédure civile 13
. Ce faisant, la Cour de
cassation rappelait que seuls les termes la clause d'arbitrage sont pertinents pour
établir les conditions de compétence, au moins temporelle, d'un tribunal arbitral.
L'on peut donc se demander si en l'affaire Serafín García Armas l'approche ne
fut pas légèrement différente puisqu'au fond, c'est l'applicabilité personnelle des
dispositions du traité en vertu des définitions de l'article I qui fut déterminante pour
confirmer la compétence du tribunal en vertu de l'article XI, qui est seul pertinent.
En réalité, ce décalage d'approches n'est qu'apparent et peut s'expliquer :
dans l'affaire Oschadbank, la cassation ne fut pas prononcée en raison d'une
mauvaise interprétation des conditions de compétence du tribunal arbitral, mais
au motif qu'en agissant comme elle l'avait fait, la cour d'appel avait examiné
des questions qui allaient au-delà de la compétence du tribunal arbitral et s'était
donc aventurée sur le terrain de la révision de la sentence. C'est donc l'office
du juge de l'annulation qui décida la Cour de cassation à sanctionner plus que
les conditions d'appréciation de la compétence du tribunal arbitral. En d'autres
termes, dans l'affaire Oschadbank, la Cour de cassation ne s'est pas prononcée
formellement sur la manière dont le tribunal arbitral avait apprécié sa compétence
mais sur la manière dont la cour d'appel avait jugé cette appréciation, ce qui
est très différent. En effet, l'analyse des conditions d'application des dispositions
substantielles d'un traité relève du tribunal arbitral et ne peut pas être examinée
par le juge de l'annulation dans le cadre du contrôle de la compétence du tribunal
arbitral sur le fondement de l'article 1520, 1°. Or, dans l'affaire Serafín García
Armas, la cour d'appel avait à deux reprises rejeté le recours en annulation fondé
sur un défaut de compétence personnelle, considérant donc que la compétence
personnelle du tribunal était établie - ou plus précisément qu'il ne lui appartenait
pas, dans le cadre d'un recours fondé sur l'article 1520, 1° du Code de procédure
civile, de vérifier l'applicabilité personnelle du traité 14
. La cour d'appel n'avait
donc pas empiété sur les pouvoirs du tribunal arbitral, contrairement à ce qu'elle
avait fait dans Oschadbank.
Cela pourrait être de nature à rassurer les tribunaux arbitraux, qui conservent
une marge de manœuvre matière d'appréciation des conditions d'applicabilité des
13. Cour de cassation, 7 décembre 2022, Joint Stock Company (Oschadbank) c. Fédération de
Russie, pourvoi n° 21-15390. Il s'agit aussi d'un débat sur le concept de « compétence » au sens de
l'article 1520 du code de procédure civile, qui a fait l'objet d'un désaccord entre la Cour d'appel
et la Cour de cassation. V. sur cet aspect de l'affaire Oschadbank A. de Nanteuil, « La distinction
entre la compétence ratione temporis du tribunal arbitral et l'applicabilité temporelle du traité de
protection des investissements : un principe théorique aux importantes conséquences pratiques »,
Les Cahiers de l'arbitrage, 2023/3, p. 107-118.
14. V. CA Paris, 25 avril 2017, § 19-38 et CA Paris, 3 juin 2020, dans lequel la question de la
compétence personnelle n'est pas abordée.
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