Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024 - 64

CASE LAW
II. - La mise en œuvre de la « nouvelle approche »
de l'ordre public international français
Parmi les arguments du Venezuela au soutien de la demande d'annulation, la
question de l'ordre public (dont la violation constitue une cause d'annulation aux
termes de l'article 1520, 5° du Code de procédure civile) occupait une bonne place,
quoique moins centrale que les problèmes de nationalité. Pourtant, cet argument fut
le seul à faire partiellement mouche, conduisant à l'annulation partielle de la sentence
au fond. Cette annulation est le résultat d'une application du nouveau critère de la
« violation caractérisée » de l'ordre public international, introduit dans la jurisprudence
française à l'occasion de l'affaire Belokon et ayant pour effet un certain accroissement
des pouvoirs du juge de l'annulation sur le fondement de l'article 1520, 5° du Code
de procédure civile 21
. Il n'aura pas suffi dans tous les cas mais son succès partiel
dans la sentence au fond mérite que l'on s'y arrête. Il est intéressant de voir que dans
chacune de ces trois décisions, l'ordre public n'a pas joué le même rôle. Dans un
cas - le recours contre la sentence sur la compétence - l'invocation de l'ordre public
aura échoué faute de s'appuyer sur une norme qui en fait partie (A), dans un autre
- le recours contre la décision sur la demande de révision - l'appartenance de la
norme à l'ordre public fut confirmée mais la Cour se refusa à un contrôle trop étroit
qui eut été proche d'une révision (B) et dans le dernier - le recours contre la sentence
au fond - les preuves suffisantes ayant été réunies, la Cour accepta de prononcer
l'annulation partielle, profitant de l'occasion pour intégrer à l'ordre public une norme
qui n'y avait jamais été formellement rattachée jusque-là (C).
A. L'ordre public international français ne comporte pas
d'interdiction générale de présenter une réclamation
contre un État dont on est ressortissant
La première exigence pour qu'un recours en annulation fondé sur une
allégation de contrariété à l'ordre public est naturellement que la norme violée y
appartienne... Tel fut l'obstacle au succès de la demande vénézuélienne à l'encontre
de la décision sur la compétence du tribunal arbitral. Celle-ci invoquait en effet
la contrariété au principe suivant lequel un binational serait privé de la possibilité
d'attraire son propre État devant une juridiction internationale pour tenter de faire
annuler la décision par laquelle le tribunal arbitral avait retenu sa compétence. La
cour d'appel n'a eu guère de difficulté à l'écarter, constatant de manière limpide
que l'ordre public international français ne comportait aucune interdiction pour les
doubles-nationaux de présenter une demande contre leur propre État devant une
juridiction internationale, qu'elle soit judiciaire ou arbitrale 22
.
L'on ne peut qu'abonder dans le sens de la cour d'appel sur ce point. D'abord,
parce que le droit international lui-même ne comporte aucune interdiction
21. Cour de cassation, Première chambre civile, 23 mars 2022, n° 17-17981, Publié au Bulletin.
Pour une mise en perspective avec le contrôle restreint opéré jusque-là, v. notamment Vincent
Chantebout, « Étendue du contrôle du juge sur les violations de l'ordre public par l'arbitre : enfin le
revirement espéré », Dalloz Actualités, 10 mai 2023.
22. Paris, 27 juin 2023, § 107.
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The Paris Journal of International Arbitration 2024‑2
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