Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024 - 71

COMMENTAIRES DE JURISPRUDENCE
voir qu'un comportement procédural contestable peut être sanctionné par le juge
de l'annulation.
Dans le premier cas, concernant la décision sur la demande de révision, la situation
était relativement claire : le Venezuela invoquait, au titre de l'article 1520, 2° relatif
à l'irrégularité dans la constitution du tribunal, le fait que le cabinet d'avocat dont
l'un des arbitres était associé avait recruté, pendant une quinzaine de jours, une
collaboratrice ayant travaillé dans un cabinet qui avait préalablement défendu les
intérêts des consorts García Armas et que cette circonstance n'avait pas été révélée
par l'arbitre en question. Outre le fait que, sur le fond, le défaut de révélation ne
fut pas jugé problématique eu égard à la durée de l'embauche 46
, la cour d'appel
releva que l'État ne s'était à aucun moment ému de cette situation devant le tribunal
arbitral alors même qu'elle était connue de lui et qu'il avait les « moyens temporels
et procéduraux pour s'en prévaloir » 47
. La Cour donne donc ici effet à l'article 1466
en déclarant cette demande irrecevable.
Elle retiendra la même solution dans son arrêt rendu au sujet de la sentence au
fond. Le Venezuela invoquait ici une « défiance » et une « inimitié » du tribunal
arbitral à l'égard des conseils de l'État, affectant son indépendance et son impartialité.
Il invoquait au soutien de cet argument un certain nombre de faits et circonstances
qui « n'ont fait l'objet d'aucune demande ni d'aucune protestation de la part de
la République Bolivarienne du Venezuela en cours d'arbitrage », de sorte qu'ils
devaient être jugés irrecevables sur le fondement de l'article 1466 48
.
Cette solution se comprend aisément, mais elle n'en pose pas moins question
au regard de la jurisprudence Schooner. Si l'on en transpose en effet le principe, on
devrait en déduire qu'à partir du moment où une question a été soulevée devant
le tribunal arbitral, elle devrait permettre de soulever tout moyen supplémentaire
relatif à cette question (même non invoqué devant le tribunal) au stade de
l'annulation. De sorte que si l'impartialité d'un arbitre était questionnée devant le
tribunal (ou l'institution en charge de la procédure), il serait possible au stade de
l'annulation d'invoquer de nouveaux moyens. Mais il semble que tel ne soit pas le
cas, à la fois au sujet du défaut prétendu d'impartialité de l'arbitre nommé par les
demandeurs et au sujet du prétendu biais du tribunal arbitral dans son ensemble.
Sur le premier point, l'arbitre nommé par les demandeurs avait fait l'objet
non pas d'une mais de deux demandes de récusation de la part du Venezuela 49
.
Difficile, en pareilles circonstances, de juger que la question de l'impartialité n'avait
pas été abordée au préalable. Si l'on devait y appliquer la jurisprudence Shooner,
on aurait donc dû en déduire que l'invocation d'un moyen supplémentaire ne
pouvait se heurter à l'irrecevabilité sur le fondement de l'article 1466, la question
de l'indépendance et de l'impartialité ayant été discutée préalablement. Il y a donc
indiscutablement un décalage de l'interprétation de l'article 1466 suivant la nature
de la question à laquelle il est appliqué. Il semble qu'elle soit beaucoup plus stricte
(et donc qu'elle favorise l'irrecevabilité) lorsque cette disposition est invoquée au
soutien de demandes liés à l'indépendance et l'impartialité.
46. CA Paris, 24 octobre 2023 (décision sur la demande de révision), § 90.
47. Ibid. § 98.
48. CA Paris, 24 octobre 2023 (sentence au fond), § 115-116.
49. Décisions sur la demande de récusation du Pr. G. Tawil, 8 mai 2013 et 12 février 2018.
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