Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024 - 85

COMMENTAIRES DE JURISPRUDENCE
1. Le tribunal arbitral ne s'écarte pas de sa mission de statuer
en droit en usant de la « liberté d'appréciation que lui confère
la règle applicable pour statuer sur une demande »
4. Le premier moyen tiré de la violation de sa mission par le tribunal arbitral
était composé de deux branches. En premier lieu, les sociétés Capital Energy
faisaient grief au tribunal d'avoir statué en amiable compositeur et non en droit,
en ce que le tribunal arbitral aurait opéré une application distributive arbitraire
du régime contractuel et légal. En second lieu, les recourantes prétendaient que
le tribunal arbitral aurait imposé aux parties des audiences d'examen des preuves
(« Evidentiary Hearing ») de façon virtuelle alors que les appelantes s'y étaient
opposées, violant ainsi les règles procédurales régissant l'instance arbitrale.
5. Concluant au rejet de ce premier moyen dans son ensemble, la Cour a
d'abord rejeté la qualification d'amiable composition au cas particulier, estimant
que le tribunal arbitral ne s'écarte pas de sa mission en usant de la « liberté
d'appréciation que lui confère la règle applicable pour statuer sur une demande » 1
.
À cet égard, la Cour a défini l'amiable composition comme :
« une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de
droit, les parties perdant la prérogative d'en exiger la stricte application et les
arbitres recevant corrélativement le pouvoir de modifier ou de modérer les
conséquences des stipulations contractuelles dès lors que l'équité ou l'intérêt
commun bien compris des parties l'exige » 2
.
Au cas particulier, la Cour se satisfait de ce que le tribunal arbitral « s'est attaché
à appliquer le droit espagnol, tel qu'interprété par la doctrine et la jurisprudence,
sans chercher à s'en affranchir » 3
.
6. La présente décision s'inscrit dans la lignée de l'arrêt Swiss Re, qui la
précède de quelques jours, répondant par l'affirmative à la question de savoir
si la loi applicable au fond du litige pourrait donner à un tribunal arbitral, tenu
de statuer en droit, des prérogatives se rapprochant des pouvoirs d'amiable
compositeur 4
. La solution et les considérants de l'arrêt Capital Energy en matière
d'amiable composition seront repris à l'identique par la cour d'appel de Paris
dans son troisième arrêt sur le sujet Air Canada rendu quelques mois plus tard, en
septembre 2023 5
.
7. En se positionnant ainsi dans le contrôle du respect de sa mission par le
tribunal arbitral, la cour se rapproche de la réalité du travail de l'arbitre puisque
toute loi nationale comporte une marge de manœuvre plus ou moins resserrée
permettant aux juges d'opérer un équilibre des situations et des intérêts en
présence. À titre d'illustration, certains systèmes juridiques prévoient des normes
permettent d'intégrer des considérations d'équité dans la réparation du préjudice.
Il en va ainsi du Code civil italien qui dispose, en son article 1226 que « si le
1. CA Paris, Pôle 5, Chambre 16, 14 février 2023, n° 21‑10727, para. 23.
2. CA Paris, Pôle 5, Chambre 16, 14 février 2023, n° 21‑10727, para. 22.
3. CA Paris, Pôle 5, Chambre 16, 26 septembre 2023, n° 21‑20965.
4. CA Paris, Pôle 5, Chambre 16, 7 février 2023, n° 21‑192243, paras. 48‑49 ; J. JourdanMarques,
« Chronique d'arbitrage : à l'ami, à la mort », Dalloz Actualité, 14 mars 2023.
5. CA Paris, Pôle 5, Chambre 16, 26 septembre 2023, n° 21‑20965, paras. 89‑90.
Les Cahiers de l'Arbitrage 2024‑2
451

Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024

Table des matières de la publication Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024