Revue - Les Cahiers de l'Arbitrage N°2 - 2024 - 96

CASE LAW
retiennent des définitions identiques des notions de « gel de fonds » et de « gel des
ressources économiques » et que les mesures qu'ils édictent poursuivent des buts
similaires, décide d'appliquer mutatis mutandis à l'affaire Al Kharafi la solution
dégagée par la CJUE dans l'affaire Bank Sepah.
La Cour de cassation juge en effet que « ne peut être diligentée, sur des fonds ou
des ressources économiques gelés, aucune mesure d'exécution qui aurait pour effet,
non seulement de les faire sortir du patrimoine du débiteur, mais aussi de conférer au
créancier poursuivant un simple droit de préférence, sans une autorisation préalable
du directeur du Trésor, autorité nationale désignée en application de l'article 11 § 2
du règlement n° 2016/44, une telle interprétation étant indispensable pour assurer
l'efficacité des mesures restrictives, quels qu'en soient les effets sur les créanciers
étrangers aux détournements de fonds publics opérés sous l'ancien régime libyen ».
Par ce motif de pur droit, la Cour de cassation décide qu'il doit être donné
mainlevée des saisies pratiquées par Al Kharafi et, en conséquence, confirme les
arrêts de la cour d'appel de Versailles et casse celui de la cour d'appel de Paris
(sans se prononcer sur la qualité d'émanation de la LIA ni sur celle de l'immunité
d'exécution éventuellement opposable par la Libye).
Ce faisant, la Cour de cassation applique fort hâtivement au régime du gel des
avoirs de la LIA la solution dégagée par la CJUE concernant les sanctions iraniennes,
au demeurant discutable (I). Les conséquences pratiques qui en découlent pour les
créanciers de débiteurs sous sanction sont sévères (II).
I. - Une transposition hâtive d'une décision discutable
Tant la solution dégagée par la CJUE que les arguments qu'elle a développés
pour y parvenir dans l'affaire Bank Sepah ne convainquent pas (A) et l'on aurait
pu souhaiter que la Cour de cassation s'attarde davantage sur le bien-fondé de
son application mutatis mutandis au régime des sanctions libyennes dans l'affaire
Al Kharafi (B).
A. Une interprétation extensive critiquable de la notion
de gel des fonds et des ressources économiques
La solution adoptée par la CJUE pour imposer à tout créancier souhaitant réaliser
une mesure conservatoire sur des fonds ou ressources économiques gelées d'obtenir
préalablement une autorisation de dégel de l'autorité nationale compétente (en
France, la Direction Générale du Trésor), repose sur une lecture extensive de la
définition de « gel des fonds » de l'article 1er
, h) du Règlement n° 423/2007. La
CJUE estime en effet que le droit de préférence conféré par les articles L. 523-1
du Code des procédures civiles d'exécution (« CPCE ») et 2350 du Code civil au
créancier qui réalise une saisie conservatoire de somme d'argent constituerait en
lui-même un « changement de destination » des fonds qui en sont l'objet et serait
donc contraire à la mesure de gel 16
. Cette interprétation serait « corroborée par les
16. CJUE, 11 novembre 2021, aff. C-340/20, Bank Sepah, § 46.
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